Conférence: UNE LITTERATURE AFRICAINE INVENTÉE: le dilemme des cerveaux pensants africains en fuite

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Notes de conférence – donnée par Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

Il n’est un secret pour personne que pour des raisons politiques, économiques, voire idéologiques, la littérature africaine actuelle est largement produite en dehors du continent . Outre ces cerveaux pensants en fuite que sont la majorité de nos auteurs africains , peu sont assez téméraires aujourd’hui que pour se lancer dans des thématiques sulfureuses, des sujets brûlants, tabous, brisés, écartelés, car trop assujettis aux contraintes de la globalisation. Et si un grand nombre d’auteurs africains vivant sur le continent demeurent victimes de ce contexte des paradoxes, on constate avec peine que les drames et les tragédies qui naissent des plumes des auteurs de la diaspora ne cessent de divertir l’Occident. Il est grand temps, comme le disait si bien l’auteur congolais Toussaint Kafarhire Murhula, que  l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!  Mais avant de percer le mystère de cette problématique, il y a lieu de comprendre l’origine de ce que l’on appelle « la littérature africaine ». D’ailleurs, le simple fait de considérer la récente naissance de cette littérature sous-entend que l’Africain aurait attendu l’Occident et sa démarche civilisatrice pour apprendre à se servir d’une plume et de l’écriture pour déployer ses pensées. 

Dès le départ, l’Africain a été victime d’un projet colonial dont le but était d’intégrer dans son imaginaire la pensée et les paradigmes occidentaux . L’Occident va en effet formater l’Africain à intégrer la modernité occidentale et ce dernier percevra cette démarche comme une chance d’accéder à la culture et au savoir du Blanc, comme l’occasion rêvée de s’approprier ses armes et de devenir aussi puissant que le Blanc. En réalité, cette stratégie bien réfléchie du Blanc ne servait qu’à contrôler la pensée du colonisé, pour les raisons que nous allons évoquer et qui demeurent d’actualité.

ob_233926_black-boy-readingIl est important de comprendre que la machine  coloniale n’instruisait le Noir que dans l’optique de former un groupe social qui occuperait une place intermédiaire entre la masse africaine et le monde européen. Il s’agissait de former des subalternes, des futurs fonctionnaires qui, pour servir à la bonne marche des colonies, devait répondre à certains critères intellectuels.  Georges Hardy, qui fut l’un des pionniers de l’enseignement en AOF explique d’ailleurs clairement la fonction de l’école coloniale dans son ouvrage « Une conquête morale » :

« Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes. »

Cette connaissance qui est offerte aux indigènes, notamment à travers des cahiers éducatifs tels que « Mamadou et Bineta » de Davesne et Gouin (dans les colonies ouest-africaines), était basée sur une étude en amont que les Occidentaux avaient réalisée autour de l’Afrique et du monde noir. Forcément, pour mieux dominer, il fallait mieux connaître. Ainsi, dès la fin du 17ème siècle, les Occidentaux se mirent à manifester un intérêt croissant pour la tradition orale africaine. Des travaux de retranscription seront opérés avec l’aide des indigènes et des ouvrages sur l’Afrique seront de plus en plus édités. C’est sur base de ces connaissances de l’Afrique que vont se dessiner les contours d’un projet éducatif qui se devait de garder l’Africain proche de ses traditions mais en même temps lui offrir un savoir et une pensée selon un paradigme occidental. Le but était de le maintenir dans l’idée que même instruit, il n’en demeurait un être sauvage qui avait été civilisé. Ainsi, quand il était permis au Nègre d’écrire, c’était sous la direction du Blanc qui éditait son ouvrage.

304948f97169a55fMais plus tard, avec les indépendances des pays africains francophones, les Africains manifesteront le désir de substituer leur propre discours à celui de l’Occident, n’acceptant plus que cette dernière impose sa littérature comme la seule à légitimer sur le continent. Les premiers auteurs Africains d’avant la grande guerre et post-indépendances entreront dans une logique de défendre les langues africaines et leurs cultures et rompre avec la répression blanche. Leurs écrits vont devenir « manifestaires » et engagés. C’est le cas des auteurs africains tels que :

  • MOUSSA TRAVELE : « Petit manuel français bambara » en 1910
  • PAUL HAZOUME : « Noms donnés aux Européens à Ouidah » en 1915
  • DIM DELOBSOM : « Le morho-naba et sa cour » en 1928
  • MAXIMILIEN QUENUM : « Au pays des Fons » en 1935
  • ABDOULAYE SADJI : « Ce que disent les vielles mélopées sénégalaises » en 1938
  • BERNARD DADIE : « Carnet de prison » en 1949

C’est d’ailleurs dans la période de l’entre deux-guerres que naîtra le courant de la négritude dans un esprit anticolonialiste avec ses défenseurs : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop et René Depestre.

Entre 1956 et 1962, on assiste à une prolifération d’ouvrages par les auteurs africains qui sont nettement marqués par la vague des indépendances africaines tels que:

  • FERDINAND OYONO: “Une vie de boy” (1956) et
  • MONGO BETI: “Le pauvre Christ de Bomba” (1956)

Les textes se veulent engagés, militants et ceux qui ne se prêtent pas à cette nouvelle vague sont critiqués. C’est le cas Camara Laye avec son ouvrage « L’Enfant Noir » (1953), considéré par les Occidentaux comme l’un des textes de fondateurs de la littérature contemporaine africaine et étudié dans les écoles en France. Et pour cause, il y décrit une Afrique paisible, loin des tumultes coloniaux. Il sera farouchement critiqué par Mongo Beti dans un article dans Présence Africaine « Afrique Noire, littérature rose », et défendu par un Senghor qui dira, qu’au contraire, il a été « fidèle à sa race et à sa mission d’écrivain ». Senghor pense que l’auteur africain ne doit pas forcément présenter des approches sociologiques ou historiques dans ses œuvres, que l’esthète parfois suffit. Mais il ne faut pas perdre de vue que Senghor va, à cause de sa démarche clairement conciliatrice vis-à-vis de l’Occident, s’opposer idéologiquement à Aimé Césaire et surtout  à son élève Frantz Fanon. Notons également que beaucoup d’écrivains africains critiqueront Senghor pour avoir trop ménagé l’impérialisme.

In fine, les différents auteurs africains tendront à présenter une dichotomie qui existe entre d’une part, l’Occident avec sa civilisation, son progrès scientifique, son savoir moderne et l’Afrique des traditions, de la spiritualité, des identités tribales et communautaires. C’est le cas des auteurs africains tels que:

  • CHEIK HAMIDOU : « L’aventure ambigüe » en 1961, Grand prix littéraire d’Afrique noir56484004e en 1962 (le protagoniste Samba Diallo se voit confrontés à la délocalisation et au déracinement à travers son voyage en Occident)
  • VALENTIN-YVES MUDIMBE : « Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution»  en 1973 (le protagoniste Pierre Landu a épousé l’Occident mais n’a pas réussi à vivre au milieu des siens, ni à devenir Blanc. Il devient un traitre, le gardien de la civilisation occidentale)

Hélas, s’ils prônent le retour à l’authenticité depuis les indépendances, les auteurs africains sont vite rattrapés par des réalités politiques et économiques qui finalement démontrent leur dépendance vis à vis de l’Occident, à travers le néo-colonialisme. Les sociétés africaines qui promettaient l’émancipation et la libération des Africains sont transformées en véritables castratrices, étouffant le génie de ses fils et les obligeant à fuir en Occident, là où ils pensent qu’ils écriront sous l’étendard de la liberté d’expression.  Il s’agit là d’un leurre monumental, puisqu’en Occident, bien qu’il leur est permis de dénoncer les incohérences de l’Afrique indépendante, les auteurs africains sont soumis à des maisons d’édition qui imposent leur diktat. Sont-ils véritablement libres? Peuvent-ils également évoquer les injustices des sociétés occidentales?  Qui sont ceux qui le font et que leur réserve t-on comme traitement? Manuscrits hachés au destructeur de document,  censure des autoéditions, appel au boycotte, etc…

Il est vraiment temps que l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!

 

Ce texte est le support écrit de l’intervention de Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

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