Critique littéraire : « La Mangeoire », roman de Charles Djungu Simba K.

Support écrit de la critique littéraire proposée par Natou P. Sakombi lors de la présentation de l’ouvrage par son auteur face au public belge, le 6 octobre 2017 à Bruxelles, à l’Horloge du Sud.

Présentation de l’auteur et du roman

« La Mangeoire»  est un roman de Charles Djungu-Simba K., publié aux éditions du Pangolin en 2017.

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Présentation de l’auteur à l’arrière de l’ouvrage

 

Titre et couverture du roman

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L’usage de la métaphore et de l’humour fait partie des éléments incontournables de l’œuvre de Charles Djungu-Simba K. Et en effet, l’auteur jongle allègrement avec toutes sortes d’allégories, de symboles et de mythes, faisant parfois usage d’anthropomorphisme comme masque et miroir des hommes et de la société congolaise. Nous comprenons d’ailleurs que ce style soit apprécié de l’auteur lorsqu’il n’hésite pas à citer son homologue, l’écrivain, journaliste et critique littéraire anglais George Orwell, connu  pour sa passion pour l’allégorie animalière:

Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traitres, n’est pas victime! Il est complice. (George Orwell, 1903-1950)

Ainsi, le titre « La Mangeoire » fait référence à cette auge où se ressourcent les charognards et ceux qui viennent y mendier, autrement dit, la main invisible qui alimente les têtes corrompus du pays. D’ailleurs, Charles Djungu nous le fait clairement entendre dans la partie des dédicaces:

« (…) les vrais félins tuent eux-mêmes leur proie, jamais ils ne vont mendier près la mangeoire des charognards » (p. 6).

La couverture est très explicite. On y voit un mendiant affamé, accroupi à terre et à peine vêtu au-devant d’un individu en costume-cravate portant des lunettes de soleil et se tenant debout, jambes croisées, appuyé contre une voiture de luxe dont la plaque indique « tour na biso » (« à notre tour »). Un plateau d’argent contenant du poulet est posé sur la voiture. Le riche tient un gros morceau du succulent met, alors que les quelques restes du repas alléchant gisent déjà à ses pieds. Ce dernier semble posséder dans son attitude envers le mendiant un mélange de mépris, de désintérêt et de compassion.

Le thème du roman, les sous-thèmes et le mode de narration et d’écriture

« La Mangeoire » traite principalement de la récente crise socio-politique congolaise à travers les problématiques de la corruption et de l’abus de pouvoir. Plusieurs autres thèmes inhérents à la société congolaise et à l’actualité y sont également abordés tels que la famille, la pauvreté, la prostitution, le statut de la femme, l’éducation, la spiritualité ou la fuite et le retour des cerveaux.

L’auteur utilise un langage soutenu, sans retenu, souvent métaphorique et humoristique comme en témoigne bien cet extrait:

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extrait – page 104

Ainsi, l’usage régulier d’un anthropomorphisme qui renvoie au monde animalier semble trouver son explication dans le berceau familial du protagoniste dont le père s’adonnait à la chasse. L’humour y est quasi omniprésent pour habiller la violence d’une société en mutation et en décadence, pour faire avaler des horreurs, mais aussi pour créer une forme de proximité et d’intimité avec le lecteur qui rencontre les différents personnages avec leurs défauts, leurs tics, leurs environnements et leurs backgrounds.

Dès le départ, le protagoniste Baudouin Wabarisq  évoque son enfance et son observation précoce du monde canin. Il compare les politiciens véreux à des chiens qui « rechignent à lâcher le morceau ». Baudouin et sa famille, et même le chien de chasse, renoncèrent  pourtant au gibier lorsque le père disparut.  Aussi, Wabarisq croit au pouvoir du peuple à contraindre les présidents têtus à quitter le pouvoir après leur mandat, une idée savamment illustrée par la scène des gamins qui lapident des chiens qui s’accouplent et qui réussissent non seulement à les séparer mais aussi à les faire fuir.

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extrait – page 9

Et de la même manière que le décès du père et le départ du chien de chasse marquent un tournant décisif et la fin d’une certaine innocence dans la vie du jeune Baudouin, plus tard,  c’est l’empoisonnement de son chien de garde qui lui ouvrira les yeux sur le danger de mort qu’il encourait, tout en annonçant subtilement l’imminence de son enlèvement.

La corruption, l’abus de pouvoir et les représailles sont les maux qui gangrènent cette société congolaise récente que nous dépeint Charles Djungu. Ainsi, la métaphore du match de football et de l’arbitre aux règles hors du commun nous renvoient à l’anarchie de plus en plus présente de ladite société, un mal auquel le peuple semble s’être habitué.

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extrait – page 14

Aussi, les incarcérations, ou plutôt les enlèvements que subissent le protagoniste et Bakary (le personnage que Wabarisq s’invente) sont également les preuves d’une dérive sociétale et politique flagrante. Le sous-thème de l’absence de liberté d’expression nous est présenté à travers l’assassinat commandité du personnage de Leblanc qui d’autre part personnifie le melting pot de la société congolaise post coloniale.

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extrait – page 105

 

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extrait – page106

La thématique du colonialisme reste présente tout au long du roman, comme pour faire écho à l’origine de la décadence congolaise. Le vol présumé de la couverture dont fait face George, le père du protagoniste est l’un des exemples qui marquent le caractère néfaste de cette période. Mais il y a également certaines références à des monuments ou à des lieux qui témoignent de la présence inéluctable des fantômes des colons. Et enfin,  l’auteur accuse presque les « nokos » (les « oncles ») d’avoir volontairement instillé la lethargie et la débauche à travers une consommation abusive de bière, breuvage auparavant inconnu des Congolais.

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extrait – page 68

Le thème de la famille, avec un accent placé sur le rôle du père, est également très présent dans le roman. Il s’agit d’ailleurs du premier paysage que nous offre l’auteur. Le thème omniprésent sera recoupé plus tard avec la thématique du chômage et des fuites de cerveaux lorsqu’il nous décrira la difficulté des familles séparées, notamment celle des conjoints qui évoluent dans deux continents différents pour des raisons professionnelles. Une situation sans doute bien connue de l’auteur.

Le côté très réaliste du roman qui se veut un miroir fidèle de la société congolaise est appuyé par des références tant culturelles que linguistiques, souvent empreints d’une note d’humour. Des expressions en lingala ou en swahili, pour la plupart traduites, y sont légion et demeurent attachées à la thématique principale de l’ouvrage. C’est notamment le cas lorsque l’auteur évoque l’expression « madesu ya bana » («les haricots des enfants») ou lorsqu’il nous explique les expressions en vogue telles que « woumellah » et « yebellah ». Aussi, l’auteur nous présente quelques déformations de la langue de Molière, aussi bien dans la prononciation que dans la syntaxe ou la grammaire, à la manière dont seuls les Congolais peuvent le faire.  C’est le cas avec la déformation du prénom de son père «Georges», qui devient «Yoloshi», d’ «eau pure» qui devient «opi», «ofele» qui est tiré d’ «offert» ou alors cet écriteau informant les passants : «cet parcel ne pas à vendre». Nous y trouvons également des expressions nées de «congolismes» telles que «casser le stylo» («ko buka bic») ou des néologismes typiquement congolais comme « shégués » ou « kuluna », voire des onomatopées cent pour cent congolaises comme l’expression du rire « kie kie kie ».

L’auteur joue également avec les noms qu’il attribue aux personnages selon leurs traits de caractères ou leur situation sociale : c’est le cas de « Baudoin Wabarisq », qui, comme son nom l’indique, multiplie les risques, de « Barbara Mabala », femme célibataire et indépendante, et pourtant « ni sainte, ni salope », figure antagoniste de la cousine « Bija », femme abandonnée avec sa ribambelle d’enfants, peinant à les nourrir et qui aurait voulu compter sur le soutien financier de son cousin Bakary qui a pourtant fait l’école des Blancs!

A noter également, des expressions françaises revues à la sauce congolaise. C’est le cas lorsque l’auteur nous parle de l’ «épée de Sambaza» au lieu de la fameuse «épée de Damoclès». Ensuite il y a les jeux de mots, une pratique dans laquelle l’auteur excelle véritablement, et que l’on peut relever dans l’article de presse que lit Bakary dans son vol pour Goma:

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extrait – page 123

La pauvreté occupe, bien évidemment, une position importante dans le roman et seuls ceux qui se servent dans la mangeoire y échappent. L’auteur n’hésite pas à aborder les aspects les plus sombres de cette thématique, notamment lorsqu’il évoque la faim paralysante à laquelle doit faire le personnage de Bakary ou lorsqu’il évoque les cérémonies de deuil que les familles se voient obligés d’écourter, faute de moyen. La prostitution n’est pas exclue de ce paysage sociétal palpable et nous est présentée à travers les personnages de Madonna, Vava et Sokoto.

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extrait- page 99

Et enfin, dans ce tableau ultra-réaliste de la société congolaise que nous offre Charles Djungu, il y a la thématique de la spiritualité à travers les différentes religions qui s’y entrecroisent. C’est donc avec beaucoup d’humour que l’auteur nous place face au syncrétisme du fameux «Ahmed Ben Kasongo» qui n’est pas seulement manifeste dans son nom mais aussi dans son style de vie. En effet, ce congolais musulman et polygame ne se priverait pour rien au monde d’un bon whisky-coca! Aussi, le phénomène des églises de réveil n’est pas épargné, entrecoupé par des superstitions liées au phénomène de la sorcellerie, que l’auteur nous exprime tendrement dans cette vielle chansonnette d’enfants « tango mosusu ndoki ye oyo, ndoki ye oyo ». Il y a également lieu de noter les quelques clins d’oeil bibliques de l’auteur comme le personnage de la cuisinière empoisonneuse qu’il nomme « Salomé » et qui aurait sans doute le cœur aussi terni que celle avait pour mission de livrer la tête de Jean-Baptiste. Nous y lisons également des références à Anuarite Nengapeta et à Isidore Bakanja, là où l’auteur a certainement tenu à nous rappeler le caractère sacré de la religion qui peut parfois s’opposer et résister à l’engagement politique.

Le schéma narratif du roman

Le schéma narratif du roman est celui d’une intrigue double:

juste après le prologue qui fait état de l’enfance et de l’univers familial du protagoniste, nous entrons dans le premier chapitre, «L’enlèvement», qui est l’état initial de la première intrigue où nous est présenté le style de vie et la profession de Baudouin Wabarisq.

L’évènement modificateur de la première intrigue apparaît avec la triste rencontre entre le protagoniste et les gardes du corps du général Pablo Sambaza, ce qui lui coûtera un enfermement de près de deux semaines.

La deuxième intrigue naîtra lors de cette séquestration, alors que Wabarisq décide de se servir de l’écriture comme exutoire. L’auteur nous entraîne alors dans une fiction dans la fiction. A l’entrée de cette deuxième partie, intitulée « La Mangeoire », la note que nous offre le protagoniste répond parfaitement à l’exigence que la fiction doit, pour réussir, créer une impression de réel:

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extrait – page 65

Il est à noter que la métaphore anthropomorphiste et  l’humour, tout comme le thème principale et les différents sous-thèmes, ne sont pas exclus dans cette deuxième intrigue, ce qui la rend encore plus réaliste. Et si la résolution de l’intrigue manque dans la deuxième partie (le problème de Bisalela n’est pas résolu), elle est bien présente dans la première intrigue et constitue l’épilogue du roman. En effet, Wabarisq est libéré.

La note finale de la première intrigue nous présente un portrait familial heureux, avec un toast porté à «Patricia», l’épouse de Baudouin, qui comme le dit le protagoniste, retrouve la «patrie» de son père ! Ainsi, la thématique de la famille ouvre et clôture le roman.

Notes finales de la critique

«Mieux vaut en rire»!’ s’exclamera le lecteur de ce magnifique ouvrage signé Charles Djungu Simba K., où est dépeinte une société congolaise récente et dans lequel l’auteur fait usage d’un outil qu’il manipule à la perfection: l’humour. D’ailleurs, l’une des premières vocations du genre fut de parler de la société dans laquelle on vit pour en décrire les petits travers et les grandes faiblesses…et en rire ! Ainsi, il nous propose des parodies iconoclastes, débridées, truffées de digressions, de références culturo-linguistiques et de faits d’actualité où la réalité et la fiction se croisent… Mais aussi, il nous accule en nous poussant à la réflexion.

Il y a également la métaphore, quasi omniprésente et qui anime gaiement le roman, principalement à travers l’anthropomorphisme qui accentue le côté humoristique et satyrique de l’œuvre.

J’ose dire de cet ouvrage qu’il entre dans la catégorie des « littératures de crise », celles qui se doivent d’être politiques, réalistes, critiques, acerbes et humoristiques dans une période socio-politique décisive et dans une logique salvatrice: celle de réveiller les consciences et inciter à la réflexion.

Tout Congolais, et je dirais même tout Africain, vivant au pays ou ailleurs, ne manquera pas d’y reconnaître une description quasi complète de sa société. D’ailleurs, n’est-ce pas l’humour et le caractère jovial et bon enfant de l’Africain qui jusqu’ici lui ont permis de tenir dans une société post-coloniale en continuelle et graduelle décadence ?

 

Natou Pedro Sakombi                                                                                                             Essayiste – critique littéraire – chercheuse indépendante en Histoire

 

Femme africaine et colonisation: entre soumission, résistance et émancipation

Certains pans de l’histoire de l’Afrique ont eu et continuent à avoir des répercussions désastreuses sur les populations et les sociétés africaines d’aujourd’hui. Voilà pourquoi seule une analyse objective  du passé permettra de confronter les plus sceptiques, ceux-là mêmes qui pensent qu’il faut « oublier » et « se réconcilier » avec le passé douloureux de l’Afrique… histoire d’y croire! 

Ainsi, le modèle sociétale occidental qu’il fallait impérativement instaurer dans les colonies prévoyait l’éradication rapide et efficace d’un système qui avait pourtant fait ses preuves durant des siècles en Afrique: le matriarcat. Et pour se défaire de ce système complètement à l’opposé du paternalisme à l’occidental, il fallait à tout prix « canaliser » et « museler » l’actrice principale de ce système politico-social bénéfique pour l’Afrique et dangereux pour ses pilleurs:  la femme africaine. Dès lors, pas étonnant qu’aujourd’hui encore, la représentation féminine dans les organes de décisions et postes à responsabilité en Afrique soit si moindre. Et la racine de ce mal se trouve sans équivoque dans cette propagande destructrice pensée et organisée par l’administration coloniale et qui en réalité avait déjà débuté depuis la traite et l’esclavage. Voyons de quelle manière cette mauvaise publicité de la femme africaine fut introduite dans certaines colonies, dans le but d’éradiquer le matriarcat et voyons de quelle façon, les premiers acteurs d’une Afrique indépendante tentèrent tant bien que mal de redonner à la femme africaine ses titres de noblesse. 

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Avant la colonisation

Durant la grande époque de l’Afrique Impériale, que certains historiens situent entre 300 à 1500 après J-C, le rôle prépondérant de la femme africaine s’est révélé à travers le matriarcat, système politico-social instauré pratiquement dans toute l’Afrique . Et en effet, avant l’esclavage et la colonisation, la femme africaine était une actrice considérable dans les institutions politiques, sociales, économiques et religieuses, dans lesquelles elle occupait des postes à haute responsabilité (chef d’armée, guerrière, reine, impératrice, prêtresse, …), alors qu’en France, par exemple, Olympe de Gouges, femme de lettres et femme politique française, considérée comme l’une des pionnières du féminisme français, était guillotinée le 3 novembre 1793 pour avoir rédigé une déclaration des droits de la femme.

Voici ce que le grand Cheikh Anta Diop nous rappelle au sujet du matriarcat:

« Le matriarcat n’est pas le triomphe absolu et cynique de la femme sur l’homme ; c’est un dualisme harmonieux , une association acceptée par les deux sexes pour mieux bâtir une société sédentaire où chacun s’épanouit complètement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique. Un régime matriarcal, loin d’être imposé à l’homme par des circonstances indépendantes de sa volonté, est accepté et défendu par lui » (« L’Unité culturelle de L’Afrique Noire »,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982 page 114).

Bien évidemment, dans ce type sociétal africain, l’éducation des filles occupait une place primordiale, eu égard aux rôles de responsable de l’harmonie familiale et de pilier de la société  qu’elles se devaient de jouer. Et pour illustrer cette idée, M’zee Lombe Mwembo, auteur et docteur en sociologie, nous propose de comparer le rôle de la femme africaine à celui d’un “ministre de l’intérieur”, puisque les affaires familiales et sociétales, voire nationales, était de son ressort, alors que le garçon était éduqué pour devenir une sorte de “ministre des affaires étrangères”. Et en effet, le garçon se devait de protéger la famille, la société et la nation de l’extérieur. Il lui était concédé un rôle viril qui était notamment marqué par une initiation qui se soldait par une circoncision sans anesthésie qui déterminait son endurance et sa résistance.

Le cas des Baluba du Kongo constitue un exemple parfait de l’importance voué à l’éducation de la fille: chez les Baluba du Katanga, il existait une distinction entre les “bintu” (les choses inanimées), le “muntu” (l’humain) et les “banyeme” (les animaux). Toutefois, le muntu n’était considéré que lorsqu’il avait pu acquérir le “buntu”, à savoir les valeurs par l’éducation. Voilà pourquoi l’éducation revêtait une importance considérable. Il était d’ailleurs de la responsabilité de tout un village d’éduquer chaque enfant. L’initiation des filles se soldait par le “butanda”, un concept assez significatif du rôle de la femme, puisqu’il peut être traduit par “la préparation du lit”. Loin de toute connotation péjorative, car il faut y comprendre que le rôle de la femme était de résoudre les conflits familiaux dans le sens restreint, non pas aux yeux du public mais dans sa chambre à coucher, à l’abri des regards. Ce rôle pouvait sans équivoque s’étendre à la résolution des problèmes exogènes à la famille restreinte, et endogènes à la société, voire à la nation.

Si la participation de la femme dans les organes de décisions est aujourd’hui si pauvre, il faut savoir que dans les sociétés anciennes, la femme pouvait véritablement être considérée comme une ministre des affaires intérieures: elle s’occupait de la résolution des conflits familiaux internes, de la santé (soins des membres de la famille), de l’économie (gestion des ressources financières du ménage), de l’énergie (gestion de l’eau et du feu; cfr chez les Bakuba où la femme était détentrice du feu sacré dont elle avait reçu le secret divin).

Durant la colonisation

Les premiers colons qui tentèrent d’endoctriner les populations africaines séduisirent ces dernières par la modernisation. C’est l’exemple de la reine Muzinga a Nzeza du Kongo qui deviendra Ndona Leonor en 1491 suite à son baptême chrétien. Cette dernière fut en effet persuadée que la conversion et l’acculturation allaient mener son royaume vers la modernisation; le système de matrilinéarité prendra d’ailleurs fin lorsque son fils Alfonso lui succédera et poursuivra ce processus d’acculturation. Toutefois, à partir de 1704, des femmes kongos vont se lever pour unifier le royaume: Yaya Mafuta,  Kimpa Vita ou Nzinga Mbandi en sont les plus beaux exemples.

homo9Toutefois, il y a lieu de noter que la colonisation et l’acculturation de l’Afrique ne se sont pas opérées sans résistance, car dans cette lutte contre les envahisseurs étrangers, les femmes africaines jouèrent un rôle significatif. Ainsi, l’histoire nous rappelle ces grandes figures féminines et résistantes telles que:

  • Ndate Yalla Mboj:  reine wolof et première force de résistance lorsque les colons français entrèrent sur le territoire du Sénégal
  • Yaa Asantewa: reine-mère du Royaume d’Ashanti qui lutta contre les colons britanniques
  • Nzinga Mbandi Kia Ngola: reine du Royaume de Matamba qui défenda son territoire contre les Portugais
  • Les Minos du Dahomey (actuel Bénin), appelées de manière erronée “Amazones”, qui dirigeaient l’armée du Roi Behanzin et luttèrent contre les colons français
  • Nehanda Buya du Zimbabwe qui créa un soulèvement de la population pour lutter contre les envahisseurs anglais

… et bien d’autres, à découvrir sur le site de “Reines & Héroïnes d’Afrique” (https://reinesheroinesdafrique.wordpress.com/)

De la même manière, la religion de l’envahisseur n’a su s’imposer aussi facilement qu’il est coutume de penser puisqu’elle a rencontré des résistances sous plusieurs forme. Prenons le cas de l’entreprise française dans les colonies de l’Afrique du Nord, tel que nous le propose Frantz Fanon, dans son ouvrage “Sociologie d’une Révolution”. Fanon nous y explique que la femme voilée représentait une résistance visible à la colonisation et à la conversion culturelle, alors que la femme dévoilée représentait la colonisation réussie, la conversion culturelle et religieuse.


relL’administration coloniale occidentale viendra apporter un changement décisif dans l’organisation sociétale africaine et dans le rapport des genres. Ayant compris le rôle et l’impact de la femme dans les sociétés ancestrales africaines et afin d’étendre leur domination, les colons vont réduire à outrance  la participation active de cette dernière. Ainsi, une propagande destructrice va être minutieusement introduite en Afrique pour minimiser et canaliser le rôle de la femme africaine.
  

Un  exemple pertinent pour illustrer cette propagande contre la femme africaine, c’est celui du portrait de la femme congolaise dressé par le Révérend Père Vermeersch dans le Congo Belge. L’homme d’Eglise sera en effet le premier à la décrire et à la catégoriser, dans le seul but de dégager les moyens permettant de lui concéder une nouvelle place dans un paysage colonial nécessairement genré. Il distinguera donc trois types de femmes congolaises:

  • La femme polygame, considérée comme une esclave et faisant partie d’un troupeau dont le mari est le berger (la métaphore soigneusement choisie renvoie volontairement à une image de femme réduite au rang d’animal – le lecteur averti pensera certainement, et à juste titre, qu’ici, c’est l’hôpital se moque de la charité!)
  • La femme ménagère du Blanc, une esclave sexuelle, avec un accent placé non pas sur le comportement abusif du maître mais sur le côté bestialement aguicheur et intéressé de la femme congolaise (on parlerait naturellement de prostituée de nos jours! )
  • La femme chrétienne, libérée, produit réussi de la mission civilisatrice occidentale. C’est la femme vertueuse, celle qui mérite le respect (mais surtout celle à qui l’on fait croire qu’à force de soumission au programme d’éducation imaginée pour elle par l’administration coloniale, elle atteindra le même niveau que la femme blanche).

C’est de cette dernière que les colons font l’apologie, en créant une femme africaine chrétienne, monogame, attachée aux valeurs familiales et surtout bonne génitrice.

Cependant, dans cette démarche il y a lieu d’ouvrir grands les yeux sur l’autre face de l’iceberg. En effet, cette procréation encouragée par les colons à travers les valeurs chrétiennes est en réalité liée à un projet destiné à agrandir la main d’oeuvre nécessaire à la colonie. Parallèlement, l’éducation offerte aux hommes a quant à elle un seul but: former des auxiliaires administratifs.  Ainsi, quand bien même les titres d’ « évolués » promettent aux Congolais de devenir aussi « puissants » que les Blancs par exemple, ils ne sont  pas formés pour occuper des postes à responsabilité. L’éducation qu’offre le colon n’est pas imaginée pour développer une conscience nationale chez l’Africain, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, pendant longtemps, et ce fait perdure jusqu’à nos jours, la soi-disante élite d’intellectuels africains souffrira de cette inaptitude à tenir des postes à responsabilité, lacune qui se faisant ressentir dès les premières heures des indépendances africaines, lorsque les états souverains sont en pleine création. C’est de cette manière que l’éducation traditionnelle sera rejetée et considérée avec mépris et que les valeurs africaines seront réduites à une barbarie qu’il faudra tôt ou tard éradiquer.

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Les femmes africaines seront minutieusement sélectionnées et se verront offrir des formations de puéricultrices ou d’aides-ménagères. Mais il y a des conditions pour accéder à ces formations: elles doivent être mariées monogamiquement, savoir lire et écrire et faire preuve d’une conduite morale irréprochable. Et c’est aux bonnes sœurs que l’on confie ces tâches de formatrices, même si ces dernières, en dépit de leur ‘charité’,  ne feront qu’agraver la situation des femmes africaines, puisqu’elles transposeront sur leurs jeunes élèves leur propre sentiment d’infériorité.

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Certaines femmes africaines vont répondre à ce paysage colonial volontairement genré par la création spontanée d’une forme de vie associative féminine (sociétés secrètes, associations de danse, tontines, etc.). Et cette sororité nouvelle, finalement éloignée du concept de complémentarité homme/femme des anciennes sociétés africaines, sera également observée auprès des commerçantes africaines,  faisant désormais « bourse à part » de leur mari.

tumblr_n12s5hppiI1s8kic3o5_400En revanche, dans la plupart des cas, la femme africaine devient un instrument de production majeur, exploitée par les hommes de la famille selon le modèle encouragé mais surtout imposé par l’administration coloniale. Voilà comment la nouvelle croyante africaine, illettrée ou « instruite », à qui l’on fait croire que la conversion conduit à la vertue, à qui l’on a fait croire que sa culture et sa spiritualité africaines sont à bannir car « sauvages » et « barbares », est paradoxalement réduite à une véritable « bête de somme ». C’est clairement la fin du matriarcat,  la femme n’existe que par son lignage d’appartenance, qu’il s’agisse de sa propre famille ou de celle de son époux: elle est  la fille, la sœur, l’épouse ou la mère de l’homme dominant. C’est d’ailleurs pourquoi certaines femmes africaines des sociétés post-coloniales n’eurent pas le droit d’aller gagner leur vie au dehors, même en tant que domestiques, ce qu’elles étaient pourtant devenues chez elles!  Notez par ailleurs que c’est de cette situation que naîtra le surnom de « boys » donné aux gens de maison, employés par les colons et qui souvent étaient des des hommes.

A la veille et aux premières heures des Indépendances africaines

lum8A la veille et aux premières heures des Indépendances, un grand nombre de ces femmes africaines qui avaient bénéficié d’une instruction coloniale pour accéder à des postes d’infirmières, de sages-femmes, de puéricultrices ou, plus tardivement, d’ institutrices, (notez la vocation sociale liée à ces métiers) entrèrent dans le monde du travail salarié «moderne ». Et aux yeux des nouveaux chefs d’Etats africains, elles sont sans équivoque des moteurs socio-économiques majeurs et d’éventuelles homologues politiques. Toutefois, si lors de la Conférence des peuples africains d’Accra en 1958 , les pères du panafricanisme qui pensent à renouer sur certains points avec les anciens modèles sociétales pré-coloniaux, discuteront de la question de la femme. Mais malgré cela, c’est une présence féminine encore timide qui se dessine dans le paysage politique de l’Afrique nouvellement indépendante, un fait certainement lié à l’existence d’une dichotomie entre la femme émancipée et la femme au foyer. Il y a en effet lieu de savoir que dans ces nouvelles sociétés africaines « libres », pour certains intellectuels africains de sexe masculin, la femme instruite fait peur. Et pour cause, ils considèrent que leur absence des foyers pour des raisons professionnelles peut mettre en péril l’équilibre de la famille, et par extension, l’équilibre de la société. Ainsi, les nouveaux chefs d’état africains encourageaient volontiers l’émancipation de la femme, valorisaient la femme travailleuse, tout en continuant à accorder à la femme au foyer une valeur toute aussi capitale, voyant en elle une actrice non négligeable pour l’équilibre familial et sociétal. Il n’est donc pas étonnant que dans une société où la question de l’homme instruit et travailleur ne pose absolument aucun problème, puisqu’il ne nuit pas à l’équilibre familial, l’éducation des garçons soit privilégiée. Par conséquent, la représentation féminine dans les postes à responsabilité ou organes de décision ne peut que rester très faible. Et il n’est pas étonnant de constater que des femmes africaines se lèvent pour revendiquer certains droits ou certaines parités, alors qu’il fut un temps ou la complémentarité homme-femme était le socle des sociétés africaines.

Par Natou P. Sakombi pour RHA-MAGAZINE – (Directrice de la publication / Rédactrice en chef ): https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

 

Sources : 

  • La Poésie initiatique des jeunes filles. (Le butanda chez les Baluba). Mémoire de graduat en français-linguistique africaine. Kasongo Mashinda Micheline. Lubumbashi : Institut Supérieur Pédagogique (ISP), 1993, II-44 p.
  • Le Développement National Congolais est Impossible sans Eduquer les Femmes. M’zee Lombe Mwemo. kongoshalom.wordpress.com; décembre 2010
  • La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo belge 1891-1933). Flavien Nkayi Malu. Ed. Karthala. Collection « Mémoire d’Eglise »; novembre 2007

  • Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne). Frantz Fanon. Paris: François Maspero, Editeur, 1972
  • L’Unité culturelle de L’Afrique Noire,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982
  • Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Catherine COQUERYVIDROVITCH, Paris, Desjonquères, 1994 

Pourquoi et quand « Monsieur Malabar » a t-il changé d’apparence?

malabar2Aujourd’hui, le mot « malabar » nous renvoie d’emblée vers le personnage blond, costaud et fort de la célèbre marque de chewing-gum. Et on évoque également le terme pour désigner vulgairement les sorteurs de boîtes de nuit au physique impressionnant, ou simplement pour parler d’une personne à l’allure d’un bodyguard dissuadant. Mais au départ, « malabars » ou « malbars » ou encore « malaba » désignait ce groupe ethnique d’origine indienne que l’on retrouve sur l’île de La Réunion et l’Ile Maurice. Et cette dernière référence, lorsque l’on s’y penche, ne peut qu’attiser notre curiosité quant à l’étymologie du mot, son usage et son évolution à travers le temps. Nous voici donc sur la piste de ce qui pourrait nous éclairer sur ce terme aujourd’hui péjoratif, histoire d’y croire…

Selon le Centre National de Ressources Textuelles et lexicales, la première référence au mot « malabar » remonte à 1663. On la retrouve dans l’ouvrage « Relation du voyage de Perse et des Indes Orientales » (A. de Wicquefort,  traduit de l’anglais par Th. Herbert, p.48) où l’on nous parle d’une jonque remplie de pirates malabares. Aussi, après l’abolition de l’Esclavage en 1848, les colons eurent recours à ce que l’on appellera « l’Engagisme », qui consistait à recruter sur contrat de 5 ans des personnes susceptibles de remplacer les esclaves dans les champs de canne et les usines sucrières. Ainsi, les « engagés » seront recrutés à Madagascar d’abord, mais aussi en Asie (Chine, Indonésie), en Afrique(Angola, Mozambique, Gorée) et en Inde du SUD (Tamil Nadu).

malabarPrincipalement recrutés au Tamil Nadu (Pondichery, Yanaon, Madras..) et secondairement au Bengale (Calcutta), les engagés de la réunion qui seront appelés « Malbars », en référence aux habitants de la côte de Malabar en Inde, faisaient partie des plus pauvres, à savoir des basses castes (Shudras) et intouchables. Abusés sur leurs conditions ultérieures de vie par les »mestrys » (les esclavagistes recruteurs), entassés à près de 300 à 500 par bateau dans des espaces clos et mal ventilés sur l’entrepont des navires, victimes d’un manque d’hygiène flagrant voire de violences dès leur embarquement…beaucoup mouraient durant la traversée d’un mois environ ou contractaient de graves maladies à bord (scorbut,diarrhées etc..) en raison de ce confinement et du manque d’hygiène à bord. C’est exténués et le plus souvent malades (oreillons, gale, diarrhées, coliques et bronchites fréquentes…) qu’ils débarquaient sur l’île. On avait donc coutume de garder ceux qui étaient constitués d’un physique intéressants et d’une santé de fer.

Ainsi, le terme « malabar » va évoluer dans les Antilles françaises pour définir une personne au physique imposant. Il se répandra ensuite dans l’espace francophone au début du 20ème siècle par le biais des missionnaires de retour dans les métropoles.

malabar3En 1958, Krémaentreprise française de confiserie créée en 1923, choisit le nom « Malabar » pour nommer sa nouvelle marque de chewing-gum. Mais ce n’est qu’en 1969 qu’apparaît la mascotte de Malabar, en l’occurrence, le célèbre blondinet vêtu d’un maillot jaune et arborant sur le torse un « M » entouré d’un ovale rouge. Monsieur Malabar possède un physique imposant mais affiche néanmoins une évidente bonhomie pour se faire l’ami des enfants. Il est fort et se veut le héros des petits dans leur détresse. Et l’originalité de la marque se trouve dans les vignettes éducatives que Kréma glisse dans chaque emballage, ce qui lui assure un succès grandissant. Plus tard, la marque abandonnera l’image de la mascotte « Monsieur Malabar » et ce dernier sera remplacé par Mabulle, un chat noir à lunettes, car il fallait réadapter l’image de la marque vis-à-vis d’un public plus jeune et moins adolescent.

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Voilà la manière quasi innocente par laquelle l’image de l’indien malabar, esclave au physique prometteur et au teint foncé est passée à celui d’un grand bonhomme blond et fort. On y verrait presque la logique volonté d’attribuer le caractère tout puissant du malabar à un individu de race blanche plutôt qu’à un ancien esclave noir. D’ailleurs, n’est-ce pas au Blanc que sied merveilleusement bien le caractère fort? N’est ce pas plus pertinent de présenter un héros de race blanche aux enfants?

Pour finir, il est nécessaire de rappeler qu’aujourd’hui encore, à la Réunion, les personnes originaires du sud de l’Inde et hindouistes seront appelées « Malbars », ou parfois même Dravidiens (plus rare). Notez que les personnes de la communauté musulmane sunnite arrivées plus tard du nord de l’Inde sont désignées par le terme « zarabe », et les indiens chiites, principalement arrivés à la Réunion après leur départ de Madagascar sont appelés « Karanes ».

Par Natou Pedro Sakombi: 

https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

Conférence: UNE LITTERATURE AFRICAINE INVENTÉE: le dilemme des cerveaux pensants africains en fuite

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Notes de conférence – donnée par Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

Il n’est un secret pour personne que pour des raisons politiques, économiques, voire idéologiques, la littérature africaine actuelle est largement produite en dehors du continent . Outre ces cerveaux pensants en fuite que sont la majorité de nos auteurs africains , peu sont assez téméraires aujourd’hui que pour se lancer dans des thématiques sulfureuses, des sujets brûlants, tabous, brisés, écartelés, car trop assujettis aux contraintes de la globalisation. Et si un grand nombre d’auteurs africains vivant sur le continent demeurent victimes de ce contexte des paradoxes, on constate avec peine que les drames et les tragédies qui naissent des plumes des auteurs de la diaspora ne cessent de divertir l’Occident. Il est grand temps, comme le disait si bien l’auteur congolais Toussaint Kafarhire Murhula, que  l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!  Mais avant de percer le mystère de cette problématique, il y a lieu de comprendre l’origine de ce que l’on appelle « la littérature africaine ». D’ailleurs, le simple fait de considérer la récente naissance de cette littérature sous-entend que l’Africain aurait attendu l’Occident et sa démarche civilisatrice pour apprendre à se servir d’une plume et de l’écriture pour déployer ses pensées. 

Dès le départ, l’Africain a été victime d’un projet colonial dont le but était d’intégrer dans son imaginaire la pensée et les paradigmes occidentaux . L’Occident va en effet formater l’Africain à intégrer la modernité occidentale et ce dernier percevra cette démarche comme une chance d’accéder à la culture et au savoir du Blanc, comme l’occasion rêvée de s’approprier ses armes et de devenir aussi puissant que le Blanc. En réalité, cette stratégie bien réfléchie du Blanc ne servait qu’à contrôler la pensée du colonisé, pour les raisons que nous allons évoquer et qui demeurent d’actualité.

ob_233926_black-boy-readingIl est important de comprendre que la machine  coloniale n’instruisait le Noir que dans l’optique de former un groupe social qui occuperait une place intermédiaire entre la masse africaine et le monde européen. Il s’agissait de former des subalternes, des futurs fonctionnaires qui, pour servir à la bonne marche des colonies, devait répondre à certains critères intellectuels.  Georges Hardy, qui fut l’un des pionniers de l’enseignement en AOF explique d’ailleurs clairement la fonction de l’école coloniale dans son ouvrage « Une conquête morale » :

« Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes. »

Cette connaissance qui est offerte aux indigènes, notamment à travers des cahiers éducatifs tels que « Mamadou et Bineta » de Davesne et Gouin (dans les colonies ouest-africaines), était basée sur une étude en amont que les Occidentaux avaient réalisée autour de l’Afrique et du monde noir. Forcément, pour mieux dominer, il fallait mieux connaître. Ainsi, dès la fin du 17ème siècle, les Occidentaux se mirent à manifester un intérêt croissant pour la tradition orale africaine. Des travaux de retranscription seront opérés avec l’aide des indigènes et des ouvrages sur l’Afrique seront de plus en plus édités. C’est sur base de ces connaissances de l’Afrique que vont se dessiner les contours d’un projet éducatif qui se devait de garder l’Africain proche de ses traditions mais en même temps lui offrir un savoir et une pensée selon un paradigme occidental. Le but était de le maintenir dans l’idée que même instruit, il n’en demeurait un être sauvage qui avait été civilisé. Ainsi, quand il était permis au Nègre d’écrire, c’était sous la direction du Blanc qui éditait son ouvrage.

304948f97169a55fMais plus tard, avec les indépendances des pays africains francophones, les Africains manifesteront le désir de substituer leur propre discours à celui de l’Occident, n’acceptant plus que cette dernière impose sa littérature comme la seule à légitimer sur le continent. Les premiers auteurs Africains d’avant la grande guerre et post-indépendances entreront dans une logique de défendre les langues africaines et leurs cultures et rompre avec la répression blanche. Leurs écrits vont devenir « manifestaires » et engagés. C’est le cas des auteurs africains tels que :

  • MOUSSA TRAVELE : « Petit manuel français bambara » en 1910
  • PAUL HAZOUME : « Noms donnés aux Européens à Ouidah » en 1915
  • DIM DELOBSOM : « Le morho-naba et sa cour » en 1928
  • MAXIMILIEN QUENUM : « Au pays des Fons » en 1935
  • ABDOULAYE SADJI : « Ce que disent les vielles mélopées sénégalaises » en 1938
  • BERNARD DADIE : « Carnet de prison » en 1949

C’est d’ailleurs dans la période de l’entre deux-guerres que naîtra le courant de la négritude dans un esprit anticolonialiste avec ses défenseurs : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop et René Depestre.

Entre 1956 et 1962, on assiste à une prolifération d’ouvrages par les auteurs africains qui sont nettement marqués par la vague des indépendances africaines tels que:

  • FERDINAND OYONO: “Une vie de boy” (1956) et
  • MONGO BETI: “Le pauvre Christ de Bomba” (1956)

Les textes se veulent engagés, militants et ceux qui ne se prêtent pas à cette nouvelle vague sont critiqués. C’est le cas Camara Laye avec son ouvrage « L’Enfant Noir » (1953), considéré par les Occidentaux comme l’un des textes de fondateurs de la littérature contemporaine africaine et étudié dans les écoles en France. Et pour cause, il y décrit une Afrique paisible, loin des tumultes coloniaux. Il sera farouchement critiqué par Mongo Beti dans un article dans Présence Africaine « Afrique Noire, littérature rose », et défendu par un Senghor qui dira, qu’au contraire, il a été « fidèle à sa race et à sa mission d’écrivain ». Senghor pense que l’auteur africain ne doit pas forcément présenter des approches sociologiques ou historiques dans ses œuvres, que l’esthète parfois suffit. Mais il ne faut pas perdre de vue que Senghor va, à cause de sa démarche clairement conciliatrice vis-à-vis de l’Occident, s’opposer idéologiquement à Aimé Césaire et surtout  à son élève Frantz Fanon. Notons également que beaucoup d’écrivains africains critiqueront Senghor pour avoir trop ménagé l’impérialisme.

In fine, les différents auteurs africains tendront à présenter une dichotomie qui existe entre d’une part, l’Occident avec sa civilisation, son progrès scientifique, son savoir moderne et l’Afrique des traditions, de la spiritualité, des identités tribales et communautaires. C’est le cas des auteurs africains tels que:

  • CHEIK HAMIDOU : « L’aventure ambigüe » en 1961, Grand prix littéraire d’Afrique noir56484004e en 1962 (le protagoniste Samba Diallo se voit confrontés à la délocalisation et au déracinement à travers son voyage en Occident)
  • VALENTIN-YVES MUDIMBE : « Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution»  en 1973 (le protagoniste Pierre Landu a épousé l’Occident mais n’a pas réussi à vivre au milieu des siens, ni à devenir Blanc. Il devient un traitre, le gardien de la civilisation occidentale)

Hélas, s’ils prônent le retour à l’authenticité depuis les indépendances, les auteurs africains sont vite rattrapés par des réalités politiques et économiques qui finalement démontrent leur dépendance vis à vis de l’Occident, à travers le néo-colonialisme. Les sociétés africaines qui promettaient l’émancipation et la libération des Africains sont transformées en véritables castratrices, étouffant le génie de ses fils et les obligeant à fuir en Occident, là où ils pensent qu’ils écriront sous l’étendard de la liberté d’expression.  Il s’agit là d’un leurre monumental, puisqu’en Occident, bien qu’il leur est permis de dénoncer les incohérences de l’Afrique indépendante, les auteurs africains sont soumis à des maisons d’édition qui imposent leur diktat. Sont-ils véritablement libres? Peuvent-ils également évoquer les injustices des sociétés occidentales?  Qui sont ceux qui le font et que leur réserve t-on comme traitement? Manuscrits hachés au destructeur de document,  censure des autoéditions, appel au boycotte, etc…

Il est vraiment temps que l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!

 

Ce texte est le support écrit de l’intervention de Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

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« Mamadou et Bineta » ou la stratégie anti-nègre des cahiers pédagogiques coloniaux

mamadou et bineta 1Durant la période coloniale, l’apprentissage de la langue française aux élèves des pays d’Afrique Noire Francophone  passait forcément par cette célèbre collection de livres éducatifs d’André Davesne, dont les éditions datant de 1950 étaient encore utilisées plus d’une décennie après les indépendances des pays africains (1960-1975), et sont aujourd’hui encore proposées dans certaines écoles d’Afrique de l’Ouest, malgré tous les développements pédagogiques des cinquante dernières années. Si ces cahiers pédagogiques réfléchis spécialement pour répondre aux besoins des petits africains, d’après une logique de « mission civilisatrice », ont fondamentalement édifié les premières élites africaines, nous verrons que le but premier n’était en rien d’offrir aux Noirs un avenir radieux au sein d’une élite blanche, mais un enseignement du français à visée utilitaire, dans le but de mieux insérer l’élève africain dans son milieu et dans sa future profession. Il s’agissait en réalité de préparer ces derniers à servir les intérêts coloniaux à travers des postes précis. Et en effet, la colonisation territoriale se traduira, de la part de chacun des Etats européens, par la volonté d’instaurer un système politique et un dispositif administratif efficace, dans lesquels les Noirs devaient obligatoirement jouer un rôle. Voilà pourquoi naissait cette nécessité de former les petits noirs selon une stratégie bien pensée.

Dès la moitié du 19ème siècle, les Européens témoignent d’un intérêt croissant pour les langues et les littératures orales africaines. Ainsi, les missionnaires, les agents de l’administration, les linguistes et les ethnologues vont s’atteler à étudier les populations africaines en profondeur. Durant la traite négrière, les Occidentaux avaient manifesté un mépris et un désintérêt notoire à l’endroit du Noir et de ses traditions, préférant se concentrer sur la phase de conquête. Toutefois, avec la nouvelle forme de domination que constituera la colonisation, va naître une notion fondamentale: « mieux connaître pour mieux dominer ». Chaque état européen se devait de maîtriser sa colonie à la lettre, et c’est dans cette perspective que naîtra la nécessité de produire une connaissance de l’Afrique, à première vue scientifique, mais en réalité pragmatique et stratégique. Des ouvrages sur le continent noir, sur son histoire, sa géographie, ses populations, ses sociétés, ses langues, etc… seront alors publiés, et une importance capitale sera accordée à la littérature orale africaine. On ne manquera pas de faire participer les Noirs à ce travail de longue haleine, car qui mieux que le Noir peut parler de l’Afrique noire. Mais attention, si le Noir est autorisé à coucher sur papier les richesses de la tradition orale africaine, les éditeurs et les préfaciers de ces ouvrages sont des Européens, de qui les auteurs bénéficient d’une reconnaissance mais aussi d’une subordination.

mamadou et bineta 3Pour les colonisateurs, la notion du « Mieux connaître pour mieux dominer » sera indispensable à la création des cahiers pédagogiques tels Mamadou et Bineta, car les objectifs seront de former un groupe social qui occupera une place intermédiaire entre la masse africaine et le monde européen. Ces cahiers serviront à former des exécutants subalternes et des fonctionnaires qui travailleront au bon déroulement du système politique et administratif en place dans les colonies. D’ailleurs, un accent sera placé sur la formation professionnelle et non générale. Cette exigence de connaître l’Africain, son mode de vie, ses traditions et sa culture, dissimule une réalité bien plus perverse et complexe. Pour tenter de la comprendre, lisons Georges Hardy, qui fut l’un des pionniers de l’enseignement en AOF et qui explique la fonction de l’école coloniale dans son ouvrage « Une conquête morale »  :

Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes.

De quelle « réalité » s’agit-il? Celle de la tradition africaine. Car pour  le colonisateur, l’élève ne doit pas être coupé totalement de son africanité, ce qui doit lui servir à se rappeler qu’il ne vient pas d’un milieu civilisé et ne peut accéder entièrement à la civilisation du Blanc, bien que ce dernier la lui offre sur un plateau. Voilà pourquoi il va insérer dans l’esprit des élèves noirs, comme des instituteurs, l’image d’une Afrique rurale, et voilà pourquoi les lectures proposées par les manuels scolaires des petits africains sont marqués par une volonté d’africaniser les contenus. Cette tâche minutieuse n’était pas simple. Le Noir, naïf, pouvait y voir une volonté d’assimilation de la part du Blanc qui, en lui offrant le savoir et la civilisation, ne le coupait pas totalement de ses racines et de sa réalité. Mais en vérité, une sélection bien réfléchie était opérée quant à cette africanité, car tout devait correspondre aux intérêts du Blanc.

Cette africanité, le colonisateur l’avait acquis grâce à ses recherches sur les traditions africaines et la littérature orale. Ainsi, Davesne et Gouin, auteurs de la célèbre série de manuels, Mamadou et Binéta, diront clairement:

Rien n’est plus pénible qu’une récitation chantonnante dépourvue de vie et d’expression. Pour lutter contre la manie scolaire -si fréquente- de la lecture et de la récitation monotone, il est un procédé qui nous a donné des résultats remarquables et que nous croyons devoir signaler à titre documentaire. Nous faisions venir en classe un conteur africain qui, dans le dialecte local, racontait aux enfants avec sa mimique habituelle –si merveilleusement expressive– une fable du pays aussi vivante que possible. Les élèves redisaient la même fable avec les même gestes, les mêmes intonations ; puis ils la lisaient ou la récitaient dans sa traduction française. Ils introduisaient alors aisément dans cette lecture ou cette récitation l’entrain, la malice, le ‘sens du théâtre’ qui leur sont naturels. (Davesne et Gouin, 1952 : 4).

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Outre ce besoin de maintenir l’africanité dans la pédagogie apportée aux élèvès noirs, on comprend par ce passage que les instituteurs africains étaient vivement invités à recueillir des coutumes et des contes qu’ils présentaient souvent dans la langue locale avec une traduction française.

Cependant, force est de constater que même en ayant tenté de priver le Noir d’atteindre un certain niveau de savoir, dans un domaine tel que la poésie par exemple, le noir a excellé dans son utilisation de la langue française, qui au départ devait être enseignée uniquement dans un but utilitaire. Lisons la pensée de Georges Hardy, et voyons à quoi il se heurte, dans son ouvrage « Une conquête morale« :

Pour les grands élèves, nous ne nous soucions pas de les initier aux beautés de notre littérature classique, dont l’intelligence suppose en même temps qu’un grand nombre de connaissances accessoires lentement acquises, un sens certain de la langue française ; nous préférons les voir lire du Jules Verne ou du Labiche, ce qui, du reste, leur plaît infiniment et les garde d’une grandiloquence peu désirable. […]. En composition française, nous exigeons avant tout des phrases courtes, exactes, des précisions justes, et nous luttons férocement contre l’abus des images, l’amphigourisme, l’enflure et les mots qui ne veulent rien dire. Les sujets de devoir sont empruntés à des circonstances locales ; ils obligent à observer, à regarder de près, et ne favorisent nullement les belles envolées. Nous réservons une large place aussi aux lettres d’affaires, aux comptes rendus, aux rapports. Tout cela ne développe pas l’imagination littéraire de nos élèves, mais elle n’a que trop de tendances à se développer sans nous. […]. On trouvera certainement que cet enseignement manque d’ampleur et qu’il sacrifie une bonne part de son charme. Mais il ne faut pas oublier que les défauts d’esprit que nous devons combattre ont, durant des siècles, maintenu dans un abîme de sauvagerie des races qui, par ailleurs, ne sont dénuées ni d’intelligence ni de qualités morales. Un enseignement à tendances purement littéraires donnerait à ces défauts un nouvel aliment, il griserait les élèves comme une musique, il leur ferait perdre de vue le reste de notre programme, dont l’utilité est notoirement supérieure. (Hardy, 1917 : 193-194).

L’esthétique ne devait pas être enseigné au Noir, d’ailleurs les colonisateurs pensaient qu’il était incapable de la comprendre, or le génie poétique d’un Senghor a certainement dû donner la chair de poule à certains académiciens français! Il suffit de lire « Masque Nègre », histoire d’y croire…

Par Natou Pedro Sakombi: 

https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

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Sur l’origine du terme « ma cocotte »

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Connaissiez-vous l’origine du terme « ma cocotte », que vous employez certainement avec beaucoup d’affection?

Dans les Antilles pré-coloniales, lorsque les enfants des maîtres s’ennuyaient, les négrillons étaient autorisés à devenir leurs compagnons de jeux, et bien évidemment, l’aspect maître/blanc ne disparaissait pas par cette coutume née de manière fortuite. Ainsi, les jeunes filles blanches possédaient ce que l’on appelait vulgairement « une cocotte », à savoir une jeune esclave qui leur servait de compagne de jeu et qui, à l’âge adulte, tronquait naturellement ce statut en celui de dame de compagnie. Notez qu’après le mariage de leurs maîtresses, ce lien était maintenu. Voilà donc pour le terme « ma cocotte » dans les Antilles, utilisé surtout chez les créolophones et adopté un peu partout pour marquer l’affection.

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Par contre, il faut surtout souligner que « cocotte » n’est autre qu’une onomatopée rappelant le bruit de la poule, que dans cette idée est né le fameux pliage en papier sensé représenter l’animal de basse cour. Serait-ce dans le fait de voir les enfants blancs courir après les poules et finalement se montrer las de ces animaux de compagnie que les maîtres blancs auraient vu en ces pauvres négrillonnes des « poules vivantes », forcément plus efficaces?

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Mais attention, il y a d’autres éléments intéressants à relever sur l’étymologie de ce mot capricieux:

une « cocotte » désignait également une prostituée sous le Second Empire. D’ailleurs à ce titre, je me demandais: doit-on y voir une interprétation douteuse dans la sieste d’après-midi que pratiquent les Québécois? C’est qu’ils parlent bien de « cocotte » lorsqu’ils s’accordent une petite pause dodo durant les après-midis. Et ce sont les mêmes Canadiens qui parlent de « cocotte » pour désigner la fleur provenant du cannabis, prisée par les consommateurs pour sa haute teneur en THC. Extasiant n’est-ce pas?

A ne pas confondre avec les marmites « cocottes » ou « cocotte minute » (appellation déposée de la marque Seb) qui vient plutôt de l’altération du mot latin « cucuma » (marmite), la racine du mot venant de « coquere » (cuire) qui a d’ailleurs donné le mot « cuisine », « queux », etc. N’y voyons pas d’autres références à « cocotte » dans ce cas précis, où nous tomberions sur des interprétations, ma foi, assez perturbantes!

On peut envisager des liens multiples entre les diverses définitions et connotations de ce terme qui, je le pense, vous emploierez dorénavant avec parcimonie: poule, compagnon de jeu, dame de compagnie, prostituée, sieste, drogue,… tout est une question d’imagination, histoire d’y croire…

Et enfin, pour la petite histoire, retenons cette cocotte célèbre répondant au doux prénom de « Rosalie » (camarade de jeu d’une certaine « Xavière ») et qui nous est aujourd’hui connue sous le surnom de « Mulâtresse Solitude »

 

Natou Pedro Sakombi

 

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