Femme africaine et colonisation: entre soumission, résistance et émancipation

Certains pans de l’histoire de l’Afrique ont eu et continuent à avoir des répercussions désastreuses sur les populations et les sociétés africaines d’aujourd’hui. Voilà pourquoi seule une analyse objective  du passé permettra de confronter les plus sceptiques, ceux-là mêmes qui pensent qu’il faut « oublier » et « se réconcilier » avec le passé douloureux de l’Afrique… histoire d’y croire! 

Ainsi, le modèle sociétale occidental qu’il fallait impérativement instaurer dans les colonies prévoyait l’éradication rapide et efficace d’un système qui avait pourtant fait ses preuves durant des siècles en Afrique: le matriarcat. Et pour se défaire de ce système complètement à l’opposé du paternalisme à l’occidental, il fallait à tout prix « canaliser » et « museler » l’actrice principale de ce système politico-social bénéfique pour l’Afrique et dangereux pour ses pilleurs:  la femme africaine. Dès lors, pas étonnant qu’aujourd’hui encore, la représentation féminine dans les organes de décisions et postes à responsabilité en Afrique soit si moindre. Et la racine de ce mal se trouve sans équivoque dans cette propagande destructrice pensée et organisée par l’administration coloniale et qui en réalité avait déjà débuté depuis la traite et l’esclavage. Voyons de quelle manière cette mauvaise publicité de la femme africaine fut introduite dans certaines colonies, dans le but d’éradiquer le matriarcat et voyons de quelle façon, les premiers acteurs d’une Afrique indépendante tentèrent tant bien que mal de redonner à la femme africaine ses titres de noblesse. 

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Avant la colonisation

Durant la grande époque de l’Afrique Impériale, que certains historiens situent entre 300 à 1500 après J-C, le rôle prépondérant de la femme africaine s’est révélé à travers le matriarcat, système politico-social instauré pratiquement dans toute l’Afrique . Et en effet, avant l’esclavage et la colonisation, la femme africaine était une actrice considérable dans les institutions politiques, sociales, économiques et religieuses, dans lesquelles elle occupait des postes à haute responsabilité (chef d’armée, guerrière, reine, impératrice, prêtresse, …), alors qu’en France, par exemple, Olympe de Gouges, femme de lettres et femme politique française, considérée comme l’une des pionnières du féminisme français, était guillotinée le 3 novembre 1793 pour avoir rédigé une déclaration des droits de la femme.

Voici ce que le grand Cheikh Anta Diop nous rappelle au sujet du matriarcat:

« Le matriarcat n’est pas le triomphe absolu et cynique de la femme sur l’homme ; c’est un dualisme harmonieux , une association acceptée par les deux sexes pour mieux bâtir une société sédentaire où chacun s’épanouit complètement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique. Un régime matriarcal, loin d’être imposé à l’homme par des circonstances indépendantes de sa volonté, est accepté et défendu par lui » (« L’Unité culturelle de L’Afrique Noire »,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982 page 114).

Bien évidemment, dans ce type sociétal africain, l’éducation des filles occupait une place primordiale, eu égard aux rôles de responsable de l’harmonie familiale et de pilier de la société  qu’elles se devaient de jouer. Et pour illustrer cette idée, M’zee Lombe Mwembo, auteur et docteur en sociologie, nous propose de comparer le rôle de la femme africaine à celui d’un “ministre de l’intérieur”, puisque les affaires familiales et sociétales, voire nationales, était de son ressort, alors que le garçon était éduqué pour devenir une sorte de “ministre des affaires étrangères”. Et en effet, le garçon se devait de protéger la famille, la société et la nation de l’extérieur. Il lui était concédé un rôle viril qui était notamment marqué par une initiation qui se soldait par une circoncision sans anesthésie qui déterminait son endurance et sa résistance.

Le cas des Baluba du Kongo constitue un exemple parfait de l’importance voué à l’éducation de la fille: chez les Baluba du Katanga, il existait une distinction entre les “bintu” (les choses inanimées), le “muntu” (l’humain) et les “banyeme” (les animaux). Toutefois, le muntu n’était considéré que lorsqu’il avait pu acquérir le “buntu”, à savoir les valeurs par l’éducation. Voilà pourquoi l’éducation revêtait une importance considérable. Il était d’ailleurs de la responsabilité de tout un village d’éduquer chaque enfant. L’initiation des filles se soldait par le “butanda”, un concept assez significatif du rôle de la femme, puisqu’il peut être traduit par “la préparation du lit”. Loin de toute connotation péjorative, car il faut y comprendre que le rôle de la femme était de résoudre les conflits familiaux dans le sens restreint, non pas aux yeux du public mais dans sa chambre à coucher, à l’abri des regards. Ce rôle pouvait sans équivoque s’étendre à la résolution des problèmes exogènes à la famille restreinte, et endogènes à la société, voire à la nation.

Si la participation de la femme dans les organes de décisions est aujourd’hui si pauvre, il faut savoir que dans les sociétés anciennes, la femme pouvait véritablement être considérée comme une ministre des affaires intérieures: elle s’occupait de la résolution des conflits familiaux internes, de la santé (soins des membres de la famille), de l’économie (gestion des ressources financières du ménage), de l’énergie (gestion de l’eau et du feu; cfr chez les Bakuba où la femme était détentrice du feu sacré dont elle avait reçu le secret divin).

Durant la colonisation

Les premiers colons qui tentèrent d’endoctriner les populations africaines séduisirent ces dernières par la modernisation. C’est l’exemple de la reine Muzinga a Nzeza du Kongo qui deviendra Ndona Leonor en 1491 suite à son baptême chrétien. Cette dernière fut en effet persuadée que la conversion et l’acculturation allaient mener son royaume vers la modernisation; le système de matrilinéarité prendra d’ailleurs fin lorsque son fils Alfonso lui succédera et poursuivra ce processus d’acculturation. Toutefois, à partir de 1704, des femmes kongos vont se lever pour unifier le royaume: Yaya Mafuta,  Kimpa Vita ou Nzinga Mbandi en sont les plus beaux exemples.

homo9Toutefois, il y a lieu de noter que la colonisation et l’acculturation de l’Afrique ne se sont pas opérées sans résistance, car dans cette lutte contre les envahisseurs étrangers, les femmes africaines jouèrent un rôle significatif. Ainsi, l’histoire nous rappelle ces grandes figures féminines et résistantes telles que:

  • Ndate Yalla Mboj:  reine wolof et première force de résistance lorsque les colons français entrèrent sur le territoire du Sénégal
  • Yaa Asantewa: reine-mère du Royaume d’Ashanti qui lutta contre les colons britanniques
  • Nzinga Mbandi Kia Ngola: reine du Royaume de Matamba qui défenda son territoire contre les Portugais
  • Les Minos du Dahomey (actuel Bénin), appelées de manière erronée “Amazones”, qui dirigeaient l’armée du Roi Behanzin et luttèrent contre les colons français
  • Nehanda Buya du Zimbabwe qui créa un soulèvement de la population pour lutter contre les envahisseurs anglais

… et bien d’autres, à découvrir sur le site de “Reines & Héroïnes d’Afrique” (https://reinesheroinesdafrique.wordpress.com/)

De la même manière, la religion de l’envahisseur n’a su s’imposer aussi facilement qu’il est coutume de penser puisqu’elle a rencontré des résistances sous plusieurs forme. Prenons le cas de l’entreprise française dans les colonies de l’Afrique du Nord, tel que nous le propose Frantz Fanon, dans son ouvrage “Sociologie d’une Révolution”. Fanon nous y explique que la femme voilée représentait une résistance visible à la colonisation et à la conversion culturelle, alors que la femme dévoilée représentait la colonisation réussie, la conversion culturelle et religieuse.


relL’administration coloniale occidentale viendra apporter un changement décisif dans l’organisation sociétale africaine et dans le rapport des genres. Ayant compris le rôle et l’impact de la femme dans les sociétés ancestrales africaines et afin d’étendre leur domination, les colons vont réduire à outrance  la participation active de cette dernière. Ainsi, une propagande destructrice va être minutieusement introduite en Afrique pour minimiser et canaliser le rôle de la femme africaine.
  

Un  exemple pertinent pour illustrer cette propagande contre la femme africaine, c’est celui du portrait de la femme congolaise dressé par le Révérend Père Vermeersch dans le Congo Belge. L’homme d’Eglise sera en effet le premier à la décrire et à la catégoriser, dans le seul but de dégager les moyens permettant de lui concéder une nouvelle place dans un paysage colonial nécessairement genré. Il distinguera donc trois types de femmes congolaises:

  • La femme polygame, considérée comme une esclave et faisant partie d’un troupeau dont le mari est le berger (la métaphore soigneusement choisie renvoie volontairement à une image de femme réduite au rang d’animal – le lecteur averti pensera certainement, et à juste titre, qu’ici, c’est l’hôpital se moque de la charité!)
  • La femme ménagère du Blanc, une esclave sexuelle, avec un accent placé non pas sur le comportement abusif du maître mais sur le côté bestialement aguicheur et intéressé de la femme congolaise (on parlerait naturellement de prostituée de nos jours! )
  • La femme chrétienne, libérée, produit réussi de la mission civilisatrice occidentale. C’est la femme vertueuse, celle qui mérite le respect (mais surtout celle à qui l’on fait croire qu’à force de soumission au programme d’éducation imaginée pour elle par l’administration coloniale, elle atteindra le même niveau que la femme blanche).

C’est de cette dernière que les colons font l’apologie, en créant une femme africaine chrétienne, monogame, attachée aux valeurs familiales et surtout bonne génitrice.

Cependant, dans cette démarche il y a lieu d’ouvrir grands les yeux sur l’autre face de l’iceberg. En effet, cette procréation encouragée par les colons à travers les valeurs chrétiennes est en réalité liée à un projet destiné à agrandir la main d’oeuvre nécessaire à la colonie. Parallèlement, l’éducation offerte aux hommes a quant à elle un seul but: former des auxiliaires administratifs.  Ainsi, quand bien même les titres d’ « évolués » promettent aux Congolais de devenir aussi « puissants » que les Blancs par exemple, ils ne sont  pas formés pour occuper des postes à responsabilité. L’éducation qu’offre le colon n’est pas imaginée pour développer une conscience nationale chez l’Africain, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, pendant longtemps, et ce fait perdure jusqu’à nos jours, la soi-disante élite d’intellectuels africains souffrira de cette inaptitude à tenir des postes à responsabilité, lacune qui se faisant ressentir dès les premières heures des indépendances africaines, lorsque les états souverains sont en pleine création. C’est de cette manière que l’éducation traditionnelle sera rejetée et considérée avec mépris et que les valeurs africaines seront réduites à une barbarie qu’il faudra tôt ou tard éradiquer.

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Les femmes africaines seront minutieusement sélectionnées et se verront offrir des formations de puéricultrices ou d’aides-ménagères. Mais il y a des conditions pour accéder à ces formations: elles doivent être mariées monogamiquement, savoir lire et écrire et faire preuve d’une conduite morale irréprochable. Et c’est aux bonnes sœurs que l’on confie ces tâches de formatrices, même si ces dernières, en dépit de leur ‘charité’,  ne feront qu’agraver la situation des femmes africaines, puisqu’elles transposeront sur leurs jeunes élèves leur propre sentiment d’infériorité.

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Certaines femmes africaines vont répondre à ce paysage colonial volontairement genré par la création spontanée d’une forme de vie associative féminine (sociétés secrètes, associations de danse, tontines, etc.). Et cette sororité nouvelle, finalement éloignée du concept de complémentarité homme/femme des anciennes sociétés africaines, sera également observée auprès des commerçantes africaines,  faisant désormais « bourse à part » de leur mari.

tumblr_n12s5hppiI1s8kic3o5_400En revanche, dans la plupart des cas, la femme africaine devient un instrument de production majeur, exploitée par les hommes de la famille selon le modèle encouragé mais surtout imposé par l’administration coloniale. Voilà comment la nouvelle croyante africaine, illettrée ou « instruite », à qui l’on fait croire que la conversion conduit à la vertue, à qui l’on a fait croire que sa culture et sa spiritualité africaines sont à bannir car « sauvages » et « barbares », est paradoxalement réduite à une véritable « bête de somme ». C’est clairement la fin du matriarcat,  la femme n’existe que par son lignage d’appartenance, qu’il s’agisse de sa propre famille ou de celle de son époux: elle est  la fille, la sœur, l’épouse ou la mère de l’homme dominant. C’est d’ailleurs pourquoi certaines femmes africaines des sociétés post-coloniales n’eurent pas le droit d’aller gagner leur vie au dehors, même en tant que domestiques, ce qu’elles étaient pourtant devenues chez elles!  Notez par ailleurs que c’est de cette situation que naîtra le surnom de « boys » donné aux gens de maison, employés par les colons et qui souvent étaient des des hommes.

A la veille et aux premières heures des Indépendances africaines

lum8A la veille et aux premières heures des Indépendances, un grand nombre de ces femmes africaines qui avaient bénéficié d’une instruction coloniale pour accéder à des postes d’infirmières, de sages-femmes, de puéricultrices ou, plus tardivement, d’ institutrices, (notez la vocation sociale liée à ces métiers) entrèrent dans le monde du travail salarié «moderne ». Et aux yeux des nouveaux chefs d’Etats africains, elles sont sans équivoque des moteurs socio-économiques majeurs et d’éventuelles homologues politiques. Toutefois, si lors de la Conférence des peuples africains d’Accra en 1958 , les pères du panafricanisme qui pensent à renouer sur certains points avec les anciens modèles sociétales pré-coloniaux, discuteront de la question de la femme. Mais malgré cela, c’est une présence féminine encore timide qui se dessine dans le paysage politique de l’Afrique nouvellement indépendante, un fait certainement lié à l’existence d’une dichotomie entre la femme émancipée et la femme au foyer. Il y a en effet lieu de savoir que dans ces nouvelles sociétés africaines « libres », pour certains intellectuels africains de sexe masculin, la femme instruite fait peur. Et pour cause, ils considèrent que leur absence des foyers pour des raisons professionnelles peut mettre en péril l’équilibre de la famille, et par extension, l’équilibre de la société. Ainsi, les nouveaux chefs d’état africains encourageaient volontiers l’émancipation de la femme, valorisaient la femme travailleuse, tout en continuant à accorder à la femme au foyer une valeur toute aussi capitale, voyant en elle une actrice non négligeable pour l’équilibre familial et sociétal. Il n’est donc pas étonnant que dans une société où la question de l’homme instruit et travailleur ne pose absolument aucun problème, puisqu’il ne nuit pas à l’équilibre familial, l’éducation des garçons soit privilégiée. Par conséquent, la représentation féminine dans les postes à responsabilité ou organes de décision ne peut que rester très faible. Et il n’est pas étonnant de constater que des femmes africaines se lèvent pour revendiquer certains droits ou certaines parités, alors qu’il fut un temps ou la complémentarité homme-femme était le socle des sociétés africaines.

Par Natou P. Sakombi pour RHA-MAGAZINE – (Directrice de la publication / Rédactrice en chef ): https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

 

Sources : 

  • La Poésie initiatique des jeunes filles. (Le butanda chez les Baluba). Mémoire de graduat en français-linguistique africaine. Kasongo Mashinda Micheline. Lubumbashi : Institut Supérieur Pédagogique (ISP), 1993, II-44 p.
  • Le Développement National Congolais est Impossible sans Eduquer les Femmes. M’zee Lombe Mwemo. kongoshalom.wordpress.com; décembre 2010
  • La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo belge 1891-1933). Flavien Nkayi Malu. Ed. Karthala. Collection « Mémoire d’Eglise »; novembre 2007

  • Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne). Frantz Fanon. Paris: François Maspero, Editeur, 1972
  • L’Unité culturelle de L’Afrique Noire,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982
  • Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Catherine COQUERYVIDROVITCH, Paris, Desjonquères, 1994 

Critique littéraire: « J’ignorais encore nager dans les flots de la vie » de Yannick P. Tambwe

Support écrit de la critique littéraire proposée par Natou P. Sakombi lors de la présentation de l’ouvrage par son auteur face au public belge, le 20 janvier 2017 à Bruxelles, à l’espace Kuumba.

Présentation du roman

« J’ignorais encore nager dans les flots de la vie »  est un roman de Yannick P. TAMBWE, publié aux éditions du Pangolin et Mabiki en 2016.

20161122-nim407-2de2Titre et couverture du roman

Le titre à lui seul est très évocateur. Conjugué au passé, il sous entend nettement le passage d’une situation de fragilité vers une situation de force. Il évoque clairement un périple initiatique. « J’ignorais encore…. »: l’auteur entend-il par là qu’aujourd’hui il aurait appris à nager dans les flots de la vie? De quelle période de sa vie parle t-il lorsqu’il fait référence à cette incapacité à savoir maîtriser les flots de la vie, et pourquoi aura t-il choisi cette métaphore des eaux? Si l’on sait qu’un certain Charles Regimbeau dira que « La vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais une montagne à gravir », dans le cas de Prince (car c’est ainsi que l’auteur et le protagoniste du roman se fait communément appeler), on y verrait plutôt cette parure soyeuse et tressaillante à la fois que revêt sa terre natale, à savoir le majestueux fleuve Congo! Et la métaphore serait plutôt bien choisie si l’on considère que les multiples rebondissements des vagues et des flots impétueux du fleuve l’auraient dirigé, de gré ou de force, en terre inconnue. Et si le jeune Prince y aura été jeté sans avoir appris à esquiver les pièges des eaux troubles de l’existence, d’aucuns diront qu’il s’agit là du meilleur moyen d’apprendre à nager. Par ailleurs,  était-ce un hasard que la maison de Huy, première demeure en Belgique du jeune auteur, fût située au bord d’un fleuve? Il est donc plus simple de penser que le voyage se fit d’une rive à une autre: du majestueux Congo à la Meuse défiante.

Le choix de la couverture de l’ouvrage n’est nullement anodin. Le visage candide, innocent et espiègle de l’auteur alors enfant, renvoie clairement à la volonté de rappeler le caractère naïf de l’enfance où l’on pense qu’il suffit d’apprendre à pêcher pour attraper de gros poissons.

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Thème du roman et mode de narration

La quête de soi dans une volonté ardente de se réaliser est sans conteste le thème principal du roman. L’auteur nous confie sans ombrage et sans filtre l’un des moments les plus importants de sa vie: son arrivée en Belgique, ses découvertes, ses rencontres, sa scolarité,  ses échecs, …

Quant au style d’écriture, on est purement dans la forme romanesque « narrateur personnage ». Le langage est simple et soutenu à la fois, l’expression est empreinte de sincérité, mais surtout de plusieurs notes d’humour, esprit juvénile oblige. L’humour, une forme que Prince utilise dans son but premier qui est de railler le caractère comique, ridicule, absurde, insolite ou même triste de l’existence, nous révèle également sa capacité à faire contre mauvaise fortune bon cœur. L’anecdote de la noyade, qui rappelle d’ailleurs la métaphore du roman, en est un excellent exemple: il ne sait pas nager, mais comme il le soulignera à la page de dédicace du roman, ses parents lui ont appris à oser, alors il saute!

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Le voyage du Congo vers la Belgique sera une véritable initiation pour Prince et l’événement clé qui forcera notre protagoniste à apprendre à maîtriser les flots de la vie . Souvent, il n’hésite pas à faire un parallèle entre sa terre natale et sa terre d’accueil, à travers un miroir reflétant tantôt l’une tantôt l’autre, comme pour mieux apprivoiser cette nouvelle vie s’offrant à lui. Pour comprendre le présent, il se sert du passé, pour comprendre l’inconnu, il se sert du familier. Et cette dualité  dont il devra faire face et qui en réalité concerne le choc des cultures, sera pour la première fois personnifiée dans le couple mixte de Patience/Florent dont il dira « Ce couple était indéniablement l’un des couples m’ayant marqué à Huy »:

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Indubitablement, on sait où son coeur penche, car on le sent fortement épris de sa culture congolaise. Dès le départ, il semble décidé à la garder, quand bien même il va apprendre à arborer « poliment » le manteau de l’intégration. Cette réalité est représentée dans la problématique de l’homosexualité auquel il est confronté à travers son ami François. Il est clair pour Prince que ce type d’orientation sexuelle n’est pas inscrit dans sa culture, raison pour laquelle il en parle sans porter de gants. Mais il dira, conscient de la nécessité de devoir s’accommoder aux coutumes du pays d’accueil:

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D’ailleurs, arrivera un temps où Prince va décider d’ôter ce manteau de l’intégration, en pleine période de doute pour, pense-t-il, retourner à la source et à l’origine de son « moi », de son « tout ». En effet, alors que le privilège d’étudier en Europe n’est pas offert à tous, le jeune homme semble attribuer son échec scolaire à un faux départ dont la seule alternative reste le retour sur les bancs de l’ école… au pays! La démarche singulière et audacieuse, raillée par certains proches et amis mais néanmoins encouragée par ses parents, sera pourtant récompensée d’une réussite louable, laquelle signera un nouveau départ, mieux apprivoisé cette fois, vers l’Europe des opportunités. S’armer chez soi et s’accomplir, avant de s’en aller vers d’autres contrées… Un message fort que nous offre le jeune auteur!

Toutefois, ce retour au pays n’est pas si facile: les réalités africaines le rattrapent rapidement: le délestage, la coupure d’eau et les moustiques l’accueillent d’emblée chez Dada Hortense. Mais qu’à cela ne tienne!  Regagner le pays reste un pur bonheur pour Prince.

La visite au Collège Boboto ressemble étrangement à l’expérience vécue dans sa première classe en Belgique: il est l’objet de curiosité et de questionnement. Il passe du « que faisais-tu au Congo? » au « que faisais-tu en Belgique? » Du « black qui ne sait pas danser », il devient « celui qui danse vraiment comme un blanc ». Son lingala devient boiteux, son accent trahi qu’il n’est pas du coin.

Le schéma narratif du roman

Le schéma narratif est celui d’une intrigue unique. On passe de l’état initial mettant en scène les épisodes au Congo jusqu’à l’événement modificateur de l’intrigue, qui est l’arrivée en Belgique. Les péripéties liées au choc de culture et aux difficultés scolaires entraînent l’élément de résolution de l’intrigue, qui est la décision d’un retour au Congo. L’état final de l’intrigue est plutôt heureux, soldé d’une réussite académique et d’un nouveau départ vers la Belgique. Les différentes séquences de l’intrigue semblent être construites de la même manière, par l’introduction de personnages féminins. En effet, volontairement ou involontairement, et sur cela, seul l’auteur pourra nous éclairer, des femmes se présentent à chaque étape cruciale de sa vie. Telles des gardiennes angéliques, elles apparaissent aux portes qui mènent vers d’autres voies, les unes pour encourager, les autres pour conseiller. Certaines sont même là pour fermer des portes!
L’ouvrage démarre d’ailleurs avec la mère de l’auteur, metteure en scène congolaise qui aura un impact considérable dans la vie du protagoniste. On en vient d’ailleurs à se demander si la complicité de l’auteur avec sa mère n’aura pas participé à l’intervention de tous ces personnages féminins. Néanmoins, il est certain que sa mère aura contribué, de par son métier, à forger l’imaginaire de l’auteur. Car si la mère lui donna le goût de l’interprétation, le père, comme le souligne le fils, lui donna le goût de l’écriture.

 

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L’état final de l’intrigue met en lumière le personnage de Christiane, la petite amie, et  les séquences intermédiaires qui relient les différents moments propices du récit mettent en scène des binômes féminins et un personnage unique en la personne d’une petite amie asiatique:

  • Paulette et Naomie ou les « gardiennes des portails de Huy »: les points communs qui les relient au protagoniste sont là comme pour le rassurer. Elles représentent les ponts nécessaires entre le point d’origine (elles sont toutes deux congolaises) et le point d’arrivée (elles vivent en Belgique):

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  • Maliwane, l’amoureuse asiatique, la bonne conseillère durant les moments d’hésitations. Le fait qu’elle fut adoptée aura certainement participé à l’attachement que l’auteur lui porte, car quoi de mieux qu’une petite amie adoptée pour tracer et partager sa route dans ce nouveau pays d’adoption?  Elle n’est ni belge de souche ni congolaise, sa neutralité est idéale pour un nouveau départ. Mais Maliwane quittera le paysage à un moment clé du parcours de Prince: celui des interrogations et d’une vague de dépression qui va aboutir à la décision du retour au pays. Et si certaines femmes ouvrent les portes, Maliwane fait partie des femmes qui non seulement les ouvrent mais les ferment brutalement.
  • Julie et Stéphanie, un autre binôme intéressant, sont les compagnes de l’auditoire qui entrent en scène alors que le protagoniste découvre le monde universitaire. La situation est renversée quand on la compare aux deux gardiennes de Huy, Paulette et Naomie. En effet, contrairement à ces deux dernières, Julie et Stéphanie sont des belges de souche et leur entrée en scène est précédée de l’avertissement d’un aîné qui semble dire : « L’intégration est la clé de la réussite! Si tu veux réussir, décolore-toi, blanchis-toi Prince! »

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  • Et enfin, il y a Christiane. La consolatrice, celle qui clôturera le roman et qui n’est autre que l’alter-ego de la mère de l’auteur. Elle semble combler, par nécessité, l’absence de la mère au pays:

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Un autre élément, bien qu’exogène au protagoniste,  vient appuyer la thématique du roman : Claire Chazal. En effet, à travers le choix d’un référent occidental comme figure de réussite, la jeune Christiane nous révèle sa quête identitaire propre. La journaliste de TF1 est le modèle de notre speakerine en devenir, mais aussi le synonyme évident d’une idéalisation de la sphère européenne.

Mais parmi toutes ces muses qui semblent constituer le squelette du roman, il y a deux personnages aux rôles clé qui sortent du lot: la cousine Bijou et la grand-mère Tate, un binôme attaché à la thématique du roman plus que tous les autres. La première représentera, durant les premières années en Belgique, le lien entre la réalité africaine et celle de l’Occident; en effet, à travers des missives et des appels rares, elle sera la voix du pays mais aussi celle de la sagesse africaine.

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L’autre, Tate, représentera le legs ancestral, le lien entre l’ancienneté et la modernité dont Prince semble avoir vraiment besoin pour rebondir dans les flots de la vie. D’ailleurs n’est-ce pas ce que l’auteur est allé rechercher au pays? La quintessence du « moi » afin de s’accomplir?

Son coeur palpite à l’idée de les revoir, comme si leur visite signifierait le point de départ de quelque chose,comme s’il viendrait confirmer ses sentiments. Après avoir visité tout le monde, il laisse le plus important pour la fin:

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Ces deux personnages décéderont de manière fortuite vers la fin du roman. Des signes forts à l’aube d’un retour en territoire étranger, à l’aube d’une revanche certaine.

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« Savoir d’où il vient pour savoir qui il est », la thématique du roman de Prince pourrait se résumer en cette seule phrase, tel un message qu’il adresserait à ses lecteurs : « savoir d’où l’on vient pour savoir qui l’on est »…

Notes finales de la critique

D’aucuns comprendront le caractère édifiant de ce roman, écrit par un jeune africain contemporain et remettant en question cette Europe que nous idéalisons et à laquelle nous attribuons toutes les clés de la réussite…

La question que nous pose Prince c’est:

« Est-il finalement intéressant d’adopter cette démarche d’aller conquérir la réussite en territoire étranger lorsque l’on n’a pas puisé toutes les possibilités et les ressources qui s’offrent à nous, CHEZ NOUS?  Peut-on véritablement s’accomplir loin de chez nous?

Dans son parcours personnel, à travers lequel il nous enrichit: l’auteur accomplit un exercice périlleux qui requiert une grande humilité de l’esprit: rétrograder pour mieux recommencer. Prince a véritablement reculé, non pas pour mieux sauter, car sauter avec audace dans les flots de la vie, il l’avait déjà fait, sauf qu’il ne savait pas nager. Autant dire qu’il a sauté, mais  pour mieux rebondir dans les flots de la vie.

Si le roman commence par la mère du protagoniste comme pour marquer la naissance d’une période initiatique, il se termine par l’annonce du départ, prévu dans les trois jours, comme pour marquer la résurrection, la renaissance.

Pour conclure, je dirais que « Je ne savais pas encore nager dans les flots de la vie » est un roman richement construit, mais en toute spontanéité. Il n’y a aucun calcul de la part de l’auteur, si ce n’est la sincérité d’une vie pleine de symboliques et de leçons apprises et données en toute modestie.

Critique de Natou Pedro Sakombi                                                                                                              Auteure-Essayiste, Chercheuse indépendante en Histoire

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Pourquoi les pilleurs de l’Afrique eurent intérêt à faire disparaître ses traditions orales ?

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Support écrit de la conférence « De l’importance de nos traditions orales africaines » animée par Natou Pedro Sakombi et organisée à Bruxelles par l’association Kachukwa Hatua – le 27 novembre 2016

Si l’Afrique est une civilisation de l’oralité, il n’en demeure pas moins que l’écriture est née en Afrique . En effet, dès les origines, l’Africain accordera une importance capitale au logos créateur. C’est par la parole, qui sert de continuum à l’héritage ancestrale que tout se créé et prend vie. Elle est sacrée et celui qui en fait usage a la lourde responsabilité de la maintenir vraie et de la transmettre avec fidélité. Et si l’oralité a précédé l’écriture, qui n’a été qu’un moyen de concrétiser ou de matérialiser la parole, que penser de la phrase d’Amadou Hampaté Bâ, fervent défenseur des traditions orales africaines:  « Le fait de n’avoir pas eu d’écriture n’a jamais privé l’ Afrique d’avoir un passé, une histoire et une culture…  » , puisqu’en effet, toutes les preuves sont aujourd’hui réunies pour affirmer que l’Afrique a bien possédé une histoire écrite, et ce, bien avant la découverte de celle-ci par l’Occident? Triste est de constater que les traditions orales africaines se perdent au fil du temps et que ce legs ancestral devient trivial au profit de l’écriture, considéré comme le meilleur outil de conservation du patrimoine historique et social. Mais pourquoi les traditions orales africaines avaient plutôt intérêt à disparaître?

Dans cette étude, nous tenterons donc de comprendre l’importance des traditions orales africaines et pourquoi elles avaient plutôt intérêt à disparaître, alors qu’elles demeurent un héritage historique et sociale considérable, au même titre, voire plus, que les sources écrites.

Les traditions orales sont un ensemble de témoignages de toutes formes sur le passé d’un peuple et qui sont transmis verbalement. Voilà pourquoi l’accent est souvent placé sur le pluriel: on parle donc des traditions orales. Alors que la littérature orale, selon l’Occident, place le conte au sommet de l’oralité, les traditions orales africaines couvrent quant à elles diverses formes qui en font un style d’une richesse incommensurable: les contes ou fables, les mythes, épopées et les généalogies, les proverbes, les devinettes et les énigmes et enfin, les chants.

Les différentes formes de transmission des traditions orales

Les contes ou les fables, qui sont les plus courants, sont des récits d’aventures imaginaires à vocation purement didactique. Leur particularité est d’avoir été créés par le peuple et transmis par lui de génération en génération. Bien souvent, ce sont les anciens qui les racontent aux plus jeunes et la nuit reste le meilleur moment pour conter, car l’imagination et l’esprit sont libérés des tâches et des préoccupations diurnes. Notez que les fables ont la particularité d’être plus courts que les contes, concernent généralement une anecdote et peuvent contenir une note d’humour.

Loral3es mythes possèdent une narration plus longue. Leur particularité est d’être inhérents aux croyances du peuple, de contenir des éléments du monde surnaturel, quand bien même le réel y reste très présent. Contrairement aux légendes, les mythes sont pris très au sérieux et  il n’est pas permis au peuple d’en douter car ils sont du domaine su sacré. Chez les Ewe du Togo par exemple, il n’est pas permis de conter les mythes durant le jour, au risque de se voir frapper d’une malédiction.

Les épopées et les généalogies sont des récits qui racontent les exploits de héros ayant joué un rôle dans l’histoire d’un peuple ou d’une ethnie. Les récits épiques sont souvent caractérisés par l’esthète, d’où leur embellissement volontaire pour glorifier les hauts faits des protagonistes. Les généalogies qui traitent souvent des dynastie chantées par des griots sont des sources historiques très importantes.

Les proverbes, les devinettes et les énigmes  sont des vérités imagées dont les moralités sont souvent dites avant de commencer. On y retrouve un véritable jeu de cache-cache par la parole, en général entre l’ancien qui les présente et les plus jeunes. Ils sont souvent à vocation didactique et sont destinés à pousser l’interlocuteur à la réflexion sur une moralité.

Les chants sont également très importants dans le corpus des traditions orales africaines. Ils accompagnent diverses situations de la vie telles que les cérémonies de mariage, de moisson, de naissance, de décès, de circoncision mais aussi les rituels.  Ce sont surtout les griots qui les interprètent et peuvent de facto être considérés comme de véritables sources de savoir. Ces derniers ont d’ailleurs le privilège d’être introduits dans les cérémonies de rituels où ils  découvrent les secrets enfouis, les sites sacrés, les autels des familles, apprennent les langues des initiés, etc…

Les personnages impliqués dans les traditions orales africaines

Les humains, les animaux, les minéraux, les végétaux, les objets, les figures surnaturelles (monstres, génies) et les personnages allégoriques font tous partie des personnages animés apparaissant  dans les traditions orales africaines. Ce sont des enfants, des sages, des vieillards, des femmes, des sorciers, des rois…

Le phénomène du « conte en miroir » caractérise souvent le jeu des personnages: la comparaison est souvent faite entre deux protagonistes évoluant dans un même contexte mais dont les attitudes sont différentes face à une certaine épreuve. L’interlocuteur est alors invité à choisir le comportement du plus sage, comme c’est le cas dans le conte africain très ancien Anansi l’araignée et la tortue de mer, qui nous rappelle d’ailleurs étrangement la fable du lièvre et de la tortue. Aussi, les animaux dans les traditions orales africaines tendent à revêtir les qualités et les défauts des humains selon leur monde animalier: le lion représentera le chef, un personnage courageux et autoritaire, la tortue représentera souvent une personne honnête, sage, tempérée et patiente, alors que le singe jouera le rôle du malicieux, du fourbe et du taquin, etc…

Les transmetteurs des traditions orales

En Afrique, tous les adultes se doivent de participer à l’éducation des enfants. Néanmoins, les piliers de la transmission du savoir par l’oralité demeurent les parents (du père au fils, de la mère à la fille, de l’oncle au neveu pour les sociétés matrilinéaires, …) mais surtout les grands parents, qui sont, au même titre que les griots, les gardiens des traditions. Le fait que le vieillards soient exempts des tâches ménagères leur offre plus de temps à accorder aux petits enfants avec qui ils ont une relation de complicité et de connivence, car moins sévères que les parents.

oralite4Les griots, qui sont les transmetteurs des traditions orales par excellence, ont un rôle quasi mystique. Ce sont les détenteurs de la mémoire sociale du peuple et les gardiens du savoir. Ils sont les érudits et les intellectuels du peuple et peuvent être considérés comme des « intouchables », forts de la confiance qui leur est accordée.  Ils sont généralement accompagnés de leur instrument (en général la kora).

L’écrivain guinéen Tierno Monenembo dit des griots qu’ils sont les

« Précepteurs des princes, confidents et conseillers des rois, mémentos historiques, encyclopédies vivantes, poètes, sociologues et moralistes, ils sont à l’Afrique ce que les Rabelais, les Dante, les Cervantès, les Diderot et autres la Bruyère sont à l’Europe. »

Les griots ont été évoqués par des auteurs tels qu’Amadou Hampaté Bâ, Senghor, Birago Diop ou Mamby Sidibé, pour leur qualité de transmetteurs des traditions orales, aux côtés des viellards.

Ainsi, dans les Contes d’Amadou Koumba de Birago Diop l’auteur dit avoir redécouvert la tradition orale grâce au griot Amadou Koumba qui est le narrateur de son livre.

Pour L. S. Senghor le griot représente une figure d’authenticité de la culture africaine. Voilà comment il l’introduit  dans un essai fondateur de la négritude, « Comment les lamantins vont boire à la source »:

« Le voilà donc, le Poète d’aujourd’hui, gris par l’hiver dans une grise chambre d’hôtel. Comment ne songerait-il pas au Royaume d’Enfance, à la Terre promise de l’Avenir dans le néant du temps présent ? Comment ne chanterait-il pas la  » négritude debout  » ? Et puisqu’on lui a confisqué ses instruments, que les remplacent tabac, café et papier blanc quadrillé ! Le voilà comme le griot, dans la même tension du ventre et de la gorge, la joie au fond de l’angoisse. «  (Ethiopiques, 1964 : 219).

C’est encore L. S. Senghor qui décrit la relation de l’écrivain au griot, quand ce premier adapte à l’écrit les paroles du second : « Or donc Birago Diop ne prétend pas faire œuvre originale ; il se veut disciple du griot Amadou, fils de Koumba, dont il se contenterait de traduire (….) »

Il est à noter qu’un bon conteur ou un bon griot c’est celui qui a la capacité de manier l’art de la suggestion, de faire naître des êtres et des choses animées dans le mental de son public. C’est là toute la force de l’oralité africaine! Le conteur ou le griot peut à sa guise, et selon le type de publique ou le contexte, apporter sa touche personnelle. Ce qui rend l’oralité malléable, contrairement l’écriture qui reste figée. Certains y verraient d’ailleurs le piège de l’authenticité des sources orales, car comment attribuer du crédit à un récit qui change d’après le peuple ou l’environnement du conteur? Mais pour cette question, on fait confiance au conteur qui a la  responsabilité de ne pas altérer ni la forme du récit ni le message de base, car la parole reste sacrée. Amadou Hampâté Bâ nous dira à ce sujet: 

« ce qui est en cause derrière le témoignage lui-même, c’est bien la valeur de l’homme qui témoigne… Or, c’est dans les sociétés orales que non seulement la fonction de la mémoire est la plus développée, mais que le lien entre l’homme et la parole est le plus fort. Là où l’écrit n’existe pas, l’homme est lié à sa parole, il est engagé par elle. Il est sa parole, et sa parole témoigne de ce qu’il est »

L’importance de nos traditions orales africaines et pourquoi elles tendent à se perdre

Si l’Africain ne réalise pas toujours l’importance de pérenniser ses traditions orales, les Occidentaux en ont pourtant compris la richesse et ont certainement participé de manière volontaire à leur extinction. Certes enrichis par le contact avec notre oralité, la civilisation occidentale échoue pourtant à s’imprégner d’un aspect important des traditions orales africaines: leur côté sacré et mystique. Et ils savent pertinemment bien qu’il s’agit d’un mystère qu’ils ne perceront jamais et une richesse destinée uniquement à l’Africain pour son avancement.

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En effet, lorsque les soi-disant civilisateurs arrivent en terre africaine, ils cernent vite les fonctions pédagogiques, politiques, sociologiques, initiatiques et fantasmatiques des traditions orales africaines. Il s’agissait du meilleur moyen de connaître les populations qu’ils se devaient de conquérir, et dans cette véritable caverne d’Ali Baba que constituait l’oralité africaine, ils puisèrent les plus grandes richesses qui pouvaient assouvir leur curiosité intellectuelle. N’est-ce pas à travers l’oralité que le sage Ogotomeli leur enseigna le savoir astronomique des Dogons? Et d’ailleurs, outre les retranscriptions opérées par les Occidentaux, l’Africain lui-même possède t-il aujourd’hui une conservation écrite et accessible  du savoir des Dogons? Or, le but des traditions orales africaines étaient leur transmission de génération en génération au sein de leur population uniquement. Les étrangers n’avaient pas à percer le mystère du logos africain.

L’autre aspect non-négligeable de l’oralité africaine c’est bien son caractère sacré. Lorsque le savoir est retranscrit, il perd énormément de son côté mythique. Or, il y a des éléments de l’ordre de l’inexplicable et de l’ésotérique qui se transmettent par l’oralité et qui ne peuvent malheureusement être instillés à travers l’écriture. Et l’Africain  doit être conscient que cette oralité s’inscrit dans son ADN et que la chaîne ne doit absolument pas être rompue.

C’est certainement dans ce sens que Thierno Bocar, dont Hampaté Bâ fut le disciple, dira:

« le savoir est une lumière en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine ».

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Il faut donc que l’Africain réalise que ses traditions orales cachent en réalité les clés de sa renaissance. L’Africain doit réaliser, que suite au chaos qui a pénétré ses terres depuis l’avènement de ses envahisseurs, les traditions orales sont entrées dans un sommeil de plus en plus profond et menant à leur disparition définitive. Mais il n’est pas encore trop tard, et il est primordiale de réanimer l’oralité africaine, car le faire, c’est faire participer les ancêtres longtemps endormis dans des pages inanimées et figées. Ce que les Occidentaux auront cerné mais n’auront pas ressenti, car étrangers à cette chaîne génétique et spirituelle que constitue l’oralité africaine, c’est son caractère sacré.

Et enfin, l’arme que nos détracteurs utilisèrent pour nous détourner de la nécessité de pérenniser nos traditions orales c’est le doute sur l’authenticité des sources. En effet, bien que ces derniers aient été à l’origine des retranscriptions du logos sacré des Africains, ils ont été les mêmes à paradoxalement douter  de leur propre démarche, évoquant des erreurs liés au langage, voire à l’anachronisme.

Qu’à cela ne tienne! Si l’Africain veut réellement accéder à nouveau à sa richesse orale, il se doit de reconsidérer le caractère sacré de son logos originel qui permettra irrévocablement d’éradiquer le doute. C’est seulement de cette manière que l’Africain mettra l’oralité sur le même piédestal que l’écriture et pourra en bénéficier en tout point de vue.

Par Natou Pedro Sakombi: 

https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

 

Sources:

  • Seydou Camara, « La tradition orale en question », Cahiers d’études africaines, 144, 1996, p. 770. (Sur les traditions orales des peuples africains.)
  • Vincent Hecquet, « Littératures orales africaines », Cahiers d’études africaines no 195, 2009, mis en ligne le 22 septembre 2009, consulté le 13 novembre 2016.
  • Moradewun Adejunmobi, « Disruption of orality in the writings of Hampaté Bâ », in Research in African literatures (Bloomington.),2000
  • Dioulde Laya, « La tradition Orale: PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE DES SOURCES DE L’HISTOIRE », scribd.com
  • L. S. Senghor, « Ethiopiques », fichedelecture.com

 

Homosexualité et bisexualité en Afrique: héritage de l’Occident?

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Extrait d’une étude menée par Natou Pedro Sakombi et ayant servi comme notes de base à son intervention lors de la soirée « Déconstruire la peur pour construire les ponts  » organisée par Bel Afrika Media, à Bruxelles, le 19 novembre 2016.

A la question « l’homosexualité a t-elle toujours existé en Afrique? », d’aucuns répondront avec virulence « NON », là où certains affirmeront qu’elle a bel et bien existé, comme dans toutes les cultures. Et si la pratique de l’homosexualité fut brutalement et sévèrement punie dans les sociétés occidentales d’antan, notamment avec l’avènement de la suprématie judéo-chrétienne, elle fut néanmoins pratiquée dans ce foyer que l’on reconnait comme le berceau de la civilisation occidentale, en l’occurrence, la Grèce antique. Inutile de préciser que l’homosexualité est de nos jours clairement tolérée dans les sociétés occidentales, et que les protagonistes de cette pratique encore jugée anormale par certains, sont protégés, sous couvert des Droits de l’Homme. Toutefois, dans les sociétés africaines où la sexualité a toujours été de l’ordre du tabou, on assiste aujourd’hui à une éclosion des mœurs sexuelles que l’on attribue d’emblée à l’avènement des Occidentaux, et la tolérance grandissante de l’homosexualité en fait évidemment partie. Et si certains Africains accusent l’Occident de vouloir en tout temps imposer ses idéaux et les généraliser dans toutes les organisations sociétales, la question que l’on pourrait se poser est « l’homosexualité fut-elle autrefois tolérée et institutionnalisée en Afrique? Aussi, il serait incomplet de mener cette étude en faisant fi du caractère matrilinéaire des anciennes sociétés africaines, d’où la nécessité d’évoquer l’homosexualité féminine en Afrique. Il est nulle doute que le matriarcat qui constituait le fondement sociétal de base en Afrique durant plusieurs siècles prévoyait non pas une vision de supériorité du féminin sacré mais établissait un rapport de complémentarité entre l’homme et la femme. Mais alors, l’homosexualité était-elle concevable en tenant compte de cette vérité? Ce sont là toutes les questions que nous tenterons d’élucider à travers cette étude, à la lumière de l’histoire et en toute objectivité.

En préambule du sujet qui nous intéresse, il serait nécessaire d’évoquer la notion d’anachronisme en Histoire qui reste extrêmement importante pour toute personne désireuse d’analyser les us et coutumes d’une société ancienne. Qu’est ce que l’anachronisme? Par définition, il s’agit  d’une erreur de chronologie qui consiste à  placer un concept ou un objet qui n’existait pas encore à l’époque dans une œuvre artistique, littéraire ou historique. Et en effet, nous constatons que consciemment ou inconsciemment nous nous  basons sur notre environnement moderne pour tirer des conclusions sur le passé. Dans le thème de l’homosexualité qui nous intéresse, nous devons donc impérativement avoir l’humilité de reconnaître et surtout d’accepter que notre enquête historique soit parfois anachronique, sans pour autant entacher son caractère scientifique ni mettre en cause son objectivité. L’histoire doit être lue à rebours, et l’anachronisme restera une part inhérente à la démarche heuristique. Nous verrons dans de cette étude, qu’il est absolument impossible de comprendre les sociétés d’antan en les basant sur nos expériences modernes, voilà pourquoi il faudra donc à chaque étape, garder en esprit cette notion cruciale d’anachronisme.

Pour commencer, nous analyserons l’origine de l’homosexualité. Notons néanmoins que le concept ne peut être daté qu’approximativement, car l’origine de l’acte homosexuel, ou de la pratique homosexuelle reste quasi impossible en terme de datation, même si d’aucuns diront que l’homosexualité coïncide forcément avec l’apparition de l’être humain sur terre.

L’historiographie actuelle n’est pas exempte d’une vision purement occidentale et elle place d’ailleurs la naissance de l’homosexualité dans la Grèce antique. Doit-on considérer de ce fait que l’homosexualité en Afrique est une importation de cette forme hellénistique, originelle et institutionnalisée? Une telle acception reviendrait à renier l’existence de l’homosexualité en Afrique avant l’avènement des Occidentaux. Or, nous allons comprendre que les choses sont bien plus complexes que cette grille de lecture quelque peu « terre à terre ». L’Occident a certainement introduit une forme de tolérance à l’homosexualité en Afrique à travers ses idéaux globalistes et mondialistes, mais tout ne peut être attribué à l’Occident dans la pratique dite récente de l’homosexualité en Afrique. Voyons comment l’homosexualité était considérée dans la Grèce antique mais également dans les anciennes sociétés africaines et tentons, à travers la confrontation de ces deux civilisations, d’atteindre une approche plus scientifique et objective sur la question. Notez qu’il est absolument fondamental de situer le phénomène dans le foyer grec antique pour comprendre la société occidentale actuelle et faire ce parallèle avec les sociétés africaines anciennes et actuelles.

La pédérastie, l’homosexualité, le lesbianisme et la bisexualité dans la Grèce antique et dans l’Afrique ancestrale 

La notion de sexualité dans la Grèce antique et dans l’Afrique ancestrale

Dans la sexualité des Grecs de l’époque antique, la notion du dominant/dominé est très présente, et l’on y reconnait cette notion de dualité omniprésente dans le paradigme occidental. En effet, le Grec de l’époque ne conçoit pas la sexualité autrement que par l’opposition de deux forces, l’une plus puissante que l’autre. De plus, la sexualité est une pratique qui ne qualifie pas l’individu, il s’agit d’un acte de jouissance physique, tout simplement, au même titre que d’autres pratiques entraînant un plaisir telles que le sport, l’alimentation, les jeux, etc…On ne détermine donc pas la nécessité ou l’obligation d’une pratique sexuelle entre individus de sexes opposés car c’est d’abord la notion de couple (dualité) et de jouissance qui prime.

Dans l’Afrique ancestrale, la sexualité n’est pas exprimée clairement dans le langage écrit ou même oral. La sexualité appartient au domaine du sacré car elle participe à l’un des éléments les plus importants de la société africaine, la procréation. Et tout comme la vie est sacrée, le sexe masculin et surtout féminin revêtent une caractéristique divine en ce sens qu’ils participent à la création. La notion d’unité des forces opposées est essentielle pour comprendre la sexualité africaine qui ne se conçoit, au départ, qu’avec la participation de l’homme et de la femme, car les êtres  opposés forment une seule entité durant la relation sexuelle. L’acte sexuel se fait à l’abri des regards car il ne concerne que les deux individus, et la notion de jouissance est quasi mystique et sacrée, tout comme la procréation qui en incombe. Percer le mystère de la sexualité entre un couple peut parfois avoir comme conséquence, la malédiction.

La notion d’homosexualité dans la Grèce antique et dans l’Afrique ancestrale

homo2La pédérastie officielle dans la Grèce antique peut être comparée à une forme d’institutionnalisation de l’homosexualité moderne. La pratique, qui  était réservée uniquement à la classe aristocratique, était une initiation entre le maître, l’éraste, et l’élève, l’éromène (obligatoirement un jeune homme pubère, sortant de l’enfance et du gynécée), le second devant s’offrir à son amant, en marque de reconnaissance pour les efforts que le premier consacrait à sa formation. À l’issue de cette période, le garçon était reconduit dans la cité, où l’on fêtait son retour et sa renaissance sociale. Il pouvait donc se marier à une femme, car la procréation était nécessaire pour assurer la pérennité de la cité. Les relations homosexuelles se pratiquaient en marge d’un mariage entre deux personnes de sexes opposés, et on peut donc aisément évoquer la bisexualité des anciens éromènes, mais aussi de leurs maîtres. Aussi, outre la pédérastie officielle, il existait au sein de la société grecque antique des couples homosexuels ou des maîtres ayant des relations homosexuels avec leurs esclaves. Mais rappelons-nous que l’homme n’existe pas par sa sexualité chez les Grecs de l’époque antique, il la pratique. C’est l’acte qui compte, pas l’individu. Ce qui veut dire que dans cette société, il n’y a pas d’homosexuels reconnus comme tel mais il y a des individus qui s’adonnent à des pratiques homosexuelles, ce qui rend d’ailleurs le terme anachronique. Le terme homosexuel naîtra bien plus tard en Occident, à la fin du XIXème siècle avec l’auteur hongrois, Karl Maria Benkert. Dans la Grèce antique, l' »homosexuel » (s’il faut utiliser un terme moderne, mais soulignons-le, anachronique) est donc perçu tel un pratiquant et non comme un citoyen identifié et reconnu officiellement par la société pour cette pratique.

homo14Quand il s’agit d’évoquer l’homosexualité dans l’Afrique ancestrale, l’anachronisme évoqué au début de cette étude se révèle de manière spectaculaire!  En effet, la grille de lecture de la plupart des chercheurs, occidentaux comme africains, est souvent à reconsidérer, faute d’un manque d’objectivité visiblement lié à une analyse anachronique. Prenons le cas des anthropologues, des explorateurs et des missionnaires occidentaux ou encore de certains chercheurs africains (tel que le sociologue Charles Gueboguo) qui ont étudié et écrit sur la question de l’homosexualité en Afrique. Ces derniers considèrent que le simple fait d’avoir observé des cas isolés d’actes homosexuels en Afrique est une preuve que la pratique faisait partie intégrante des sociétés africaines et était donc tolérée. A la lumière de leurs propres expériences sociétales et/ou modernes, les sociétés africaines leur sont apparues comme des sociétés où l’individu avait la liberté de pratiquer sa propre sexualité, voire choisir son orientation sexuelle. Quelle erreur! D’autre part, il existe une certaine communauté intellectuelle africaine qui réfute avec virulence l’existence de pratiques homosexuelles dans l’Afrique ancestrale. Il s’agit là d’une manière absurde d’idéaliser les sociétés africaines anciennes, comme si elles furent parfaites et exemptes de toutes tares. Quelle malhonnêteté scientifique! En effet, si dans toutes les civilisations des mœurs dissonantes ont été relevées, il serait absurde de penser que l’Afrique fut une exception. La question qu’il faut cependant se poser, c’est « comment la pratique de l’homosexualité a été considérée dans les sociétés africaines anciennes? ».

Avant d’évoquer des cas notoires de pratiques homosexuelles en Afrique, analysons la place de la femme dans ce foyer considéré comme le berceau de l’homosexualité, en l’occurrence la Grèce antique, et la place de la femme dans l’Afrique ancestrale

La place de la femme dans la Grèce antique et dans l’Afrique ancestrale

A l’époque antique, la femme grecque possède un rôle peu flatteur: elle ne possède aucun statut civil ni politique, sa place est dans les gynécées, et bien qu’instruite, elle est réduite à un rôle de procréation, de gestion du ménage, d’éducation des filles (les garçons sont éduqués par des précepteurs et quittent le gynécée une fois la puberté atteinte).  Voici d’ailleurs ce que nous en dit le grand Aristote:

« Ce sont les mâles seulement qui sont créés directement par les dieux et à qui l’âme est donnée (…) ce qu’une femme peut espérer au mieux est de devenir homme » (Platon, Timée 90e).

« (…) la relation entre le mâle et la femelle est par nature telle que le mâle est supérieur, la femelle, inférieure, que le mâle dirige et que la femelle est dirigée. » Aristote, Politique ed Loeb Classical Library, 1254 b 10-14.

Nous y voyons donc non seulement cette notion d’infériorité de la femme mais aussi celle du dominé-dominant, qui notons bien, se rapporte également dans les relations homosexuelles homme/homme ou femme/femme chez les Grecs antiques. Retenons que cette notion qui poursuivra la femme occidentale durant des siècles sera aggravée avec l’avènement de la suprématie judéo-chrétienne, et son émancipation sera extrêmement tardive. Toutefois, des sources historiques attestent de l’existence d’une pédérastie féminine dans la Grèce antique. Plutarque l’évoque d’ailleurs clairement dans son oeuvre « Vie de Lycurgue« . Notons que cette pédérastie féminine est mal vue car il n’est pas concevable, pour la femme dont le rôle principal est la procréation, de s’adonner à une pratique qui exclue toute possibilité de naissance.C’était un affront au mâle dominant et un danger pour la pérennité de la cité.

homo6L’une des figures de la pédérastie féminine grecque reste la poétesse Sappho, qui possédait une école de formation de jeunes filles. On la disait homosexuelle, bien que l’histoire nous apprend qu’elle était mariée. Doit-on dans le cas de Sappho parler d’homosexualité ou plutôt de bisexualité? Autre fait à retenir de Sappho, elle aurait été petite, laide et noire. Ovide souligne d’ailleurs cette particularité chez Sappho. Or, il est étonnant de constater qu’au Moyen-Age, à une période où le christianisme s’est pleinement inséré dans les sociétés occidentales et où l’homosexualité est condamnée, Sappho est citée parmi les auteurs grecs retranscrits et revisités avec une emphase sur sa négritude et sa laideur. Et à cette époque où le Noir était attribué au Diable, on ne manquait pas de relever le caractère négroïde de Sappho, là où aujourd’hui encore on doute des origines noires de certains personnages historiques. Est-il étonnant,  qu’au fil du temps, on perçoive en elle l’origine du lesbianisme (par antonomase, car une lesbienne est une habitante de l’île de Lesbos, ) et du saphisme, pratiques considérées comme anormales et diaboliques durant plusieurs siècles? Il y a également à noter qu’en dehors de la pédérastie féminine, les pratiques homosexuelles existaient entre les femmes dans la Grèce antique et étaient extrêmement mal vues, même si elles pouvaient être mentionnées et poétisées par certains auteurs antiques.

Le rôle de la femme dans l’Afrique ancestrale est totalement différente et diamétralement opposé à celui de la femme dans les sociétés grecques antiques et même dans les sociétés occidentales plus tardives. En Afrique, la femme est détentrice de cette capacité a donner la vie dont elle en est la dignitaire et la gardienne. Son rôle est également sacré, voire divinisé.  Les sociétés africaines des époques les plus précoces pratiquent le culte la déesse-mère, c’est dire à quel point l’importance du féminin sacré était réelle. La femme privilégiée par le matriarcat, se voit attribuer les titres de reine, de reine-mère, d’impératrice, de chef des armées, etc…

Cas de pratiques homosexuelles en Afrique

Si certaines pratiques sexuelles hors norme, voire, homosexuelles sont relevées en Afrique, les auteurs modernes de ces analyses échouent à les comprendre, les percevant à travers une loupe anachronique. C’est le cas du sociologue Charles Gueboguo qui affirme que l’homosexualité a été pratiquée en Afrique et qui à travers plusieurs sources tente de démontrer qu’il s’agissait d’un fait sociétal admis et même institutionnalisé d’une certaine manière. Pourtant nous verrons que le sociologue se contredit dans certaines de ses assertions.

Ce que le sociologue camerounais réussit néanmoins à opérer c’est la classification des différents cas d’homosexualité en Afrique: par classe d’âge, dans les rites initiatiques et pour des besoin de compensation de manque de présence féminine.

Pratiques homosexuelle en Afrique par classe d’âge:

Il est vrai qu’en Afrique des actes homosexuels pouvaient être relevés parmi des pré-adolescents dans certaines sociétés, et cela s’explique par le fait que les filles et les garçons étaient séparés. La virginité des filles devant être préservées, elles passaient plus de temps entre elles ou avec les femmes. Logique donc, dans ce cas de figure et à l’âge de la découverte sexuelle puissent apparaître certaines pratiques homosexuelles à travers des jeux érotiques . C’est le cas de ce que l’on connait comme le « gaglo » (jeux érotiques entre garçons) au Bénin. Mais notons qu’ils se pratiquaient loin du regard et les protagonistes pouvaient être sévèrement punis par les adultes lorsqu’ils étaient surpris en flagrant délit, preuve que ces pratiques n’étaient pas du tout considérées comme normales.

Pratiques homosexuelle en Afrique dans les rites:

Dans le cas des rites d’initiation ou de fécondité, il faut également faire attention à l’anachronisme. Lorsqu’une personne ayant évolué dans nos sociétés modernes observe deux femmes adultes s’adonnant, lors d’un rituel secret, à ce qu’elle considère comme des activités homosexuelles tolérées par la hiérarchie du village, elle peut en effet penser à une forme d’homosexualité admise, voire légalisée. Mais la réalité peut être bien plus complexe. En effet, souvent ce type de rituels est lié à une symbolique bien précise et complexe car le domaine de l’ésotérisme africain est extrêmement polysémique. C’est le cas du rite « mevungu » ou « koo »au Cameroun, une cérémonie secrète de célébration du clitoris comme source vitale destinée à favoriser la fécondité, la moisson ou la chasse. Durant ces rites, on pouvait alors observer des femmes se livrer à des attouchements du clitoris ou à son étirement pour imiter le phalus. Un autre exemple, c’est celui du « mwaami », ou « prophète » en Zambie. Le mwaami était donc un prophète qui pour des besoins ésotériques liés au bien-être de la société devaient se travestir en femme mais ne devait en aucun cas coucher avec des femmes. On peut y voir aussi cette importance du féminin sacré à travers la masculinité ou la notion complexe de l’unité sacré entre le féminin et le masculin. La sexualité du mwaami étant uniquement réservé à un rite particulier, il pouvait en effet être pratiqué avec des hommes. Bien entendu, le profane de nos sociétés modernes y verrait la preuve d’une tolérance homosexuelle au sein d’une société africaine, sans saisir le message polysémique et ésotérique qui s’y cache et ignorer qu’au moment où ces rites sexuels étaient établis, l’homosexualité en tant que concept n’existait pas encore.

Pratiques homosexuelle en Afrique pour des raisons de compensation:

Le dernier cas, à savoir celui des compensations d’une absence féminine et masculine est le plus complexe, mais aussi celui que brandissent volontiers ceux qui tiennent à affirmer que l’homosexualité était tolérée et institutionnalisée en Afrique.

Prenons le cas des mariages entre femmes dans certaines cours royales africaines. Nous ne devons pas y voir un cas notoire de lesbianisme puisque non seulement les épouses n’entretenaient aucune relation sexuelle, mais il s’agissait d’assurer une descendance royale lorsqu’un époux royal venait à disparaître ou lorsque l’épouse royale ou la reine devenait trop âgée pour enfanter. On retrouve ce type d’union légale entre femmes chez les Nuer d’Ethiopie, les Yoruba du Nigéria, les Zulu d’Afrique du Sud ou les Nandi du Kenya. Le sexe se pratiquait dans ce cas par personne interposée, car l’épouse principale choisissait l’homme qui donnerait des enfants à son épouse secondaire.

Un autre cas est celui des harems polygamiques. Ce fut le cas chez les Haoussa ou chez les Azande où les activités sexuelles entre coépouses se pratiquaient lorsque l’époux ne pouvait que rarement les satisfaire toutes. Enfermées et surveillées pour éviter qu’elle ne recourent à l’adultère en cas d’appétit sexuel incontrôlables, elles pratiquaient une homosexualité, cachée et taboue, mais connue de tous. Ici encore, les épouses qui étaient surprises en flagrant délit d’acte homosexuel étaient sévèrement punies.

L’on peut mentionner un dernier exemple, observé chez les Akan du royaume d’Ashanti, où les femmes étaient parfois exclues des camps militaires car en tant que gardiennes de la vie, elles devraient être protégées. On acceptait donc que les officiers (uniquement les plus haut gradés) entretiennent des relations homosexuelles avec des jeunes garçons. Mais cette pratique était fermement contrôlée car ces hommes, non seulement pouvaient uniquement prendre des jeunes garçons non mariés, mais devaient également s’acquitter d’une dot auprès de leurs parents. D’ailleurs, ces « unions » étaient provisoires car les jeunes garçons devaient, un certain moment, en sortir pour fonder leur propre foyer en s’unissant à des femmes.

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A la lecture de ces exemples à travers ces trois catégories, on peut en effet comprendre que certains savants, habillés d’une vision de l’homosexualité purement moderne et surtout occidentale, affirment que la pratique de l’homosexualité était existante et admise, voire institutionnalisée en Afrique. Or, il existe à ce jour, aucune preuve démontrant, en dehors de ces trois catégories, que l’homosexualité était une pratique inhérente et légalisée en Afrique. S’il faut même remonter à l’Egypte pharaonique, on constate que les lois de la Maat condamnaient la pédérastie.

L’homosexualité en Afrique a donc bel et bien existé avant l’avènement des Occidentaux, mais elle était soit le cas de faits isolés comme dans toutes les sociétés, soit pratiquée dans des rites spécifiques, complexes, à caractère ésotériques et mystiques, ou alors décidée ou pratiquée de manière fortuite pour des besoins de compensation.

Pour conclure, voici deux citations de Charles Guebogo (sociologue camerounais qui a tenté de prouver que l’homosexualité était tolérée et institutionnalisée en Afrique) qui attestent de la contradiction de sa propre analyse:

Lorsque le sociologue tend à prouver qu’à travers des expressions linguistiques qui qualifient l’existence de l’homosexualité en Afrique, il affirme pourtant qu’à travers elles, on ne peut considérer que les individus les pratiquant étaient reconnus par les dites sociétés africaines comme des homosexuels (anachronisme notoire de la part du sociologue):

« En effet, les langues traduisent seulement les actes avec précision, mais ne disent pas s’il s’en suit une logique identitaire pour les parties prenantes. Même quand il s’agit d’amitié érotique entre personnes de même sexe : aponji, m’uzonj’ame, katumua k’ame, oupanga, il n’est pas précisé s’il y a investissement identitaire à ce niveau. » (source: https://socio-logos.revues.org/37#bodyftn45)

Aussi, le sociologue met en exergue le fait que les pratiques dites « homosexuelles » observées dans certains cadres, dans le cadre des rites par exemple, ne pouvaient se pratiquer en dehors de ce seul cadre. D’où l’inexistence de la notion de tolérance :

« Ces pratiques socio-sexuelles étaient mouvantes et flexibles en fonction des sociétés. Elles pouvaient se transformer au gré des périodes historiques ou alors au gré des spécificités culturelles, géographiques ou climatiques. En dehors de cette période socialement déterminée, toutes pratiques homosexuelles, pouvaient être associées, on l’a vu, à la sorcellerie ou à une pratique irrationnelle. » (source: https://socio-logos.revues.org/37#bodyftn45)

Le rôle de l’Occident

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Et enfin, notons que le rôle de l’Occident qui fut d’imposer minutieusement une forme de tolérance de l’homosexualité en Afrique n’est pas inexistante. Et il entre pleinement dans cette vision de globalisme et de mondialisme qui propose une vision sociétale homogène mais pro-occidentale à outrance. En effet, les Occidentaux qui auraient été les précurseurs de l’homosexualité depuis la Grèce antique (selon leur propre historiographie) l’ont eux-mêmes condamnée depuis l’avènement de la suprématie judéo-chrétienne, incitant plusieurs pays africains, après les indépendances, à copier les législations des anciennes puissances coloniales d’alors. Mais aujourd’hui, lorsque ces mêmes sociétés occidentales tolèrent l’homosexualité, nous constatons que certains états africains embrassent elles-aussi, petit à petit, cette tolérance, et ce, depuis l’introduction du concept de la démocratie, prônant la liberté des choix politiques, religieux ou même sexuels dans les années 90.

Pour conclure, nous dirons que l’homosexualité à bien existé en Afrique à travers des cas isolés dont les plus visibles purent être catégorisés, mais qu’à ce jour, aucun élément ne peut être présenté pour affirmer qu’elle était une norme, qu’elle était tolérée ou même institutionnalisée.

Par Natou Pedro Sakombi

Auteure – Chercheuse Indépendante en Histoire 

https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

Sources ayant servi à la réalisation de cet article:

– GUEBOGUO, C., L’homosexualité en Afrique : sens et variations d’hier à nos jours, socio-logos.revues.org

– BOEHRINGER, S. , L’Homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine, Paris, Les Belles Lettres, 2007

-ABEGA, S., Contes d’initiation sexuelle, Yaoundé, Clé, 1995.

-WARNIER, J.-P., La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1999.

-AMORY, D., « Mashoga, mabasha and magai : homosexuality on the East African coast » in, MURRAY, S., O., ROSCOE, W., Boy-wives and Female Husband. Studies of African Homosexualities, New York, St Martin’s Press, 2001, pp 67-87.

-BA, A., Télévision, paraboles et démocratie en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Champs Visuels », 1996.

– « Sexual inversion among Azande », American Anthropologist, 72,1970, pp 1428-1434.

– The Azande, Oxford, Clarendon Press, 1971.

-FALK, K., « Same-sex life among a few negro tribes of Angola » in, MURRAY, S., ROSCOE, W., Ibidem, pp 167-170.

– « Homosexuality among the natives of South West Africa » in, MURRAY, S., ROSCOE, W., Ibid., pp 187-196.

-DUMONT, J., Histoire générale de l’Afrique, Tome 3, Paris, Beauval, 1972.

-FOUCAULT, M., Histoire de la sexualité, Tome 2, L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984.

– « Le mevungu et les rituels féminins à Minlaaba » in, BARBIER, J.-C., Femmes du Cameroun, mères pacifiques, femmes rebelles, Paris, ORSTOM-Karthala, 1985, pp 233-243.

-GAGNON, J., SIMON, W., Sexual Conduct. The Social Source of Human Sexuality, Chicago, Aldine, 1973.

-GAUDIO, R., « Male lesbians and other queer notions in Haussa » in, MURRAY, S., ROSCOE, W., Ibid., pp 115-128.

– La question homosexuelle en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Etudes africaines », 2005 (Publication à paraître).

-HUTIN, S., Les sociétés secrètes, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1952.

-JUNOD, A., Mœurs et coutumes des bantous, vol. 1, Paris, Payot, 1936.

-OMBOLO, J.-P., Sexe et société en Afrique. L’anthropologie sexuelle Beti : essai analytique, critique et comparatif, Paris, l’Harmattan, 1990.

-ORAISON, M., La question homosexuelle, Paris, Seuil, 1975.

Conférence: « Falsification historique et négationnisme noir » (vidéos)

Le 25 mai 2016, je tenais une conférence à Bozar, à Bruxelles, dans le cadre des conférences-formation « Initiation à l’Histoire Africaine », organisées par le Collectif Mémoire Coloniale et Change asbl que je remercie.
J’y abordais la falsification historique et le « négrocide » historique (ou négationnisme noire), deux problématiques dont les conséquences restent extrêmement palpables dans nos sociétés actuelles. A la lumière des différents courants de recherche historiographique occidentale qui nous ont été imposés dans les programmes scolaires, je vous invite à réfléchir sur la manière sournoise dont l’histoire a été utilisée comme instrument puissant de conquête des mentalités et d’expansion d’une pensée hégémonique. La toute-puissance occidentale, sa supériorité intellectuelle et raciale, exprimées dans sa noblesse, sa royauté, sa souveraineté et par ses élites (parmi lesquelles le Noir est « historiquement exclu » alors qu’en vérité il en a fait partie et en a même été l’initiateur) trouve en réalité sa source dans la frustration d’un peuple à une époque très reculée de l’histoire. Cette notion de toute puissance et de contrôle qui s’est pérennisée à travers les âges n’a pas fini de remplir les coupes empoisonnées que nous offrent les oligarques qui régissent nos sociétés, et l’Afrique en est la plus grande consommatrice! Voilà pourquoi il faut s’y intéresser, et voilà pourquoi j’ai tenu à écrire « Du Sang Bleu à l’Encre Noire ».Et si la démystification des manipulations historiques faisait partie des armes qui nous permettront de vaincre l’Impérialisme qui tue l’Africain depuis des siècles?

1ère vidéo (conférence intégrale):

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2ème vidéo :

Le rectificationnisme diopien comme solution à la falsification historique et l’origine de la suprématie occidentale

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Conférence: UNE LITTERATURE AFRICAINE INVENTÉE: le dilemme des cerveaux pensants africains en fuite

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Notes de conférence – donnée par Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

Il n’est un secret pour personne que pour des raisons politiques, économiques, voire idéologiques, la littérature africaine actuelle est largement produite en dehors du continent . Outre ces cerveaux pensants en fuite que sont la majorité de nos auteurs africains , peu sont assez téméraires aujourd’hui que pour se lancer dans des thématiques sulfureuses, des sujets brûlants, tabous, brisés, écartelés, car trop assujettis aux contraintes de la globalisation. Et si un grand nombre d’auteurs africains vivant sur le continent demeurent victimes de ce contexte des paradoxes, on constate avec peine que les drames et les tragédies qui naissent des plumes des auteurs de la diaspora ne cessent de divertir l’Occident. Il est grand temps, comme le disait si bien l’auteur congolais Toussaint Kafarhire Murhula, que  l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!  Mais avant de percer le mystère de cette problématique, il y a lieu de comprendre l’origine de ce que l’on appelle « la littérature africaine ». D’ailleurs, le simple fait de considérer la récente naissance de cette littérature sous-entend que l’Africain aurait attendu l’Occident et sa démarche civilisatrice pour apprendre à se servir d’une plume et de l’écriture pour déployer ses pensées. 

Dès le départ, l’Africain a été victime d’un projet colonial dont le but était d’intégrer dans son imaginaire la pensée et les paradigmes occidentaux . L’Occident va en effet formater l’Africain à intégrer la modernité occidentale et ce dernier percevra cette démarche comme une chance d’accéder à la culture et au savoir du Blanc, comme l’occasion rêvée de s’approprier ses armes et de devenir aussi puissant que le Blanc. En réalité, cette stratégie bien réfléchie du Blanc ne servait qu’à contrôler la pensée du colonisé, pour les raisons que nous allons évoquer et qui demeurent d’actualité.

ob_233926_black-boy-readingIl est important de comprendre que la machine  coloniale n’instruisait le Noir que dans l’optique de former un groupe social qui occuperait une place intermédiaire entre la masse africaine et le monde européen. Il s’agissait de former des subalternes, des futurs fonctionnaires qui, pour servir à la bonne marche des colonies, devait répondre à certains critères intellectuels.  Georges Hardy, qui fut l’un des pionniers de l’enseignement en AOF explique d’ailleurs clairement la fonction de l’école coloniale dans son ouvrage « Une conquête morale » :

« Nous nous efforçons de l’apparenter de plus en plus étroitement aux intentions essentielles de notre œuvre coloniale, de l’enraciner en pleine terre de réalité, de faire de son enseignement tout entier une préparation aux modes d’existence qui nous paraissent désirables pour les indigènes. »

Cette connaissance qui est offerte aux indigènes, notamment à travers des cahiers éducatifs tels que « Mamadou et Bineta » de Davesne et Gouin (dans les colonies ouest-africaines), était basée sur une étude en amont que les Occidentaux avaient réalisée autour de l’Afrique et du monde noir. Forcément, pour mieux dominer, il fallait mieux connaître. Ainsi, dès la fin du 17ème siècle, les Occidentaux se mirent à manifester un intérêt croissant pour la tradition orale africaine. Des travaux de retranscription seront opérés avec l’aide des indigènes et des ouvrages sur l’Afrique seront de plus en plus édités. C’est sur base de ces connaissances de l’Afrique que vont se dessiner les contours d’un projet éducatif qui se devait de garder l’Africain proche de ses traditions mais en même temps lui offrir un savoir et une pensée selon un paradigme occidental. Le but était de le maintenir dans l’idée que même instruit, il n’en demeurait un être sauvage qui avait été civilisé. Ainsi, quand il était permis au Nègre d’écrire, c’était sous la direction du Blanc qui éditait son ouvrage.

304948f97169a55fMais plus tard, avec les indépendances des pays africains francophones, les Africains manifesteront le désir de substituer leur propre discours à celui de l’Occident, n’acceptant plus que cette dernière impose sa littérature comme la seule à légitimer sur le continent. Les premiers auteurs Africains d’avant la grande guerre et post-indépendances entreront dans une logique de défendre les langues africaines et leurs cultures et rompre avec la répression blanche. Leurs écrits vont devenir « manifestaires » et engagés. C’est le cas des auteurs africains tels que :

  • MOUSSA TRAVELE : « Petit manuel français bambara » en 1910
  • PAUL HAZOUME : « Noms donnés aux Européens à Ouidah » en 1915
  • DIM DELOBSOM : « Le morho-naba et sa cour » en 1928
  • MAXIMILIEN QUENUM : « Au pays des Fons » en 1935
  • ABDOULAYE SADJI : « Ce que disent les vielles mélopées sénégalaises » en 1938
  • BERNARD DADIE : « Carnet de prison » en 1949

C’est d’ailleurs dans la période de l’entre deux-guerres que naîtra le courant de la négritude dans un esprit anticolonialiste avec ses défenseurs : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop et René Depestre.

Entre 1956 et 1962, on assiste à une prolifération d’ouvrages par les auteurs africains qui sont nettement marqués par la vague des indépendances africaines tels que:

  • FERDINAND OYONO: “Une vie de boy” (1956) et
  • MONGO BETI: “Le pauvre Christ de Bomba” (1956)

Les textes se veulent engagés, militants et ceux qui ne se prêtent pas à cette nouvelle vague sont critiqués. C’est le cas Camara Laye avec son ouvrage « L’Enfant Noir » (1953), considéré par les Occidentaux comme l’un des textes de fondateurs de la littérature contemporaine africaine et étudié dans les écoles en France. Et pour cause, il y décrit une Afrique paisible, loin des tumultes coloniaux. Il sera farouchement critiqué par Mongo Beti dans un article dans Présence Africaine « Afrique Noire, littérature rose », et défendu par un Senghor qui dira, qu’au contraire, il a été « fidèle à sa race et à sa mission d’écrivain ». Senghor pense que l’auteur africain ne doit pas forcément présenter des approches sociologiques ou historiques dans ses œuvres, que l’esthète parfois suffit. Mais il ne faut pas perdre de vue que Senghor va, à cause de sa démarche clairement conciliatrice vis-à-vis de l’Occident, s’opposer idéologiquement à Aimé Césaire et surtout  à son élève Frantz Fanon. Notons également que beaucoup d’écrivains africains critiqueront Senghor pour avoir trop ménagé l’impérialisme.

In fine, les différents auteurs africains tendront à présenter une dichotomie qui existe entre d’une part, l’Occident avec sa civilisation, son progrès scientifique, son savoir moderne et l’Afrique des traditions, de la spiritualité, des identités tribales et communautaires. C’est le cas des auteurs africains tels que:

  • CHEIK HAMIDOU : « L’aventure ambigüe » en 1961, Grand prix littéraire d’Afrique noir56484004e en 1962 (le protagoniste Samba Diallo se voit confrontés à la délocalisation et au déracinement à travers son voyage en Occident)
  • VALENTIN-YVES MUDIMBE : « Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution»  en 1973 (le protagoniste Pierre Landu a épousé l’Occident mais n’a pas réussi à vivre au milieu des siens, ni à devenir Blanc. Il devient un traitre, le gardien de la civilisation occidentale)

Hélas, s’ils prônent le retour à l’authenticité depuis les indépendances, les auteurs africains sont vite rattrapés par des réalités politiques et économiques qui finalement démontrent leur dépendance vis à vis de l’Occident, à travers le néo-colonialisme. Les sociétés africaines qui promettaient l’émancipation et la libération des Africains sont transformées en véritables castratrices, étouffant le génie de ses fils et les obligeant à fuir en Occident, là où ils pensent qu’ils écriront sous l’étendard de la liberté d’expression.  Il s’agit là d’un leurre monumental, puisqu’en Occident, bien qu’il leur est permis de dénoncer les incohérences de l’Afrique indépendante, les auteurs africains sont soumis à des maisons d’édition qui imposent leur diktat. Sont-ils véritablement libres? Peuvent-ils également évoquer les injustices des sociétés occidentales?  Qui sont ceux qui le font et que leur réserve t-on comme traitement? Manuscrits hachés au destructeur de document,  censure des autoéditions, appel au boycotte, etc…

Il est vraiment temps que l’Africain devienne sujet de narration, de consommation et de transformation de sa propre histoire!

 

Ce texte est le support écrit de l’intervention de Natou Pedro Sakombi lors de la soirée de présentation du livre « Biko Aye » de l’auteur congolais Charles Djungu Simba, organisée par le Collectif de jeunes congolais de Belgique, le vendredi 15 avril 2016 à Bruxelles. La thématique de l’intervention était: « Jeunesse africaine et littérature: choc des paradigmes ou dichotomie Occident/Afrique »

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