L’ « ethnicisme » comme prétexte aux crises africaines

Notes de la conférence donnée par Natou P. Sakombi auprès du « Cercle des Etudiants de Louvain La Neuve », le 4 mai 2017, à l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve

La main mise des Occidentaux sur le continent africain a pour sûr contribué à fragiliser les sociétés africaines actuelles, et ce, en tout point de vue. Mais s’il est bien une arme dont le colon a fait usage pour imposer son hégémonie et son contrôle, c’est bien celle du diviser pour mieux régner. Inutile de rappeler, dans ce contexte,  le partage de la Conférence de Berlin qui, en réalité, ne fut qu’une manière de concrétiser un projet mis à exécution bien longtemps auparavant.

Et si nous ne pouvons attribuer à cent pour cent le phénomène des diversités culturelles, cultuelles, claniques ou de classe à l’Occident, nous pouvons néanmoins affirmer qu’elles ont été instrumentalisées par les Occidentaux dans le but de créer des conflits antagonistes violents au sein des populations africaines. Et dans ce projet destiné à semer des divisions pour permettre aux Occidentaux de régner, c’est l’arme de l’ethnicité, voire de l’ethnocentrisme, qui a minutieusement été utilisée contre les peuples africains.

ethnieLe meilleur exemple pour illustrer ce phénomène est bien celui du génocide rwandais. Car en effet, c’est à partir des classifications ethniques que les Belges opérèrent parmi les Banyarwanda, qui au départ n’était qu’un seul peuple au sein duquel seule une distinction de classe était établie entre les Mututsi et les Muhutu (distinction d’ailleurs aléatoire du fait du nombre de bétail qui la caractérisait), que les Occidentaux créèrent des rivalités et des guerres. Et ajourd’hui, il est difficile de contester que ces tensions ethniques volontairement orchestrées par l’administration coloniale belge sont la première cause du génocide que le Rwanda connut en 1994.

Tout comme les nations produisent les nationalités, les ethnies ont secrété l’ethnicité. Et le génie des Occidentaux a été de profiter des tensions sociales où prédominent des rapports antagonistes de classes ou de successions, pour instiller, à travers des manipulations idéologiques minutieuses, destinées à accentuer le sentiment d’appartenance ethnique, des ostracismes ou des massacres de masse. Or, quand bien même des conflits pouvaient exister au sein des anciennes sociétés africaines, l’Africain n’avait jamais pensé un projet d’extermination totale d’une partie de sa population. Ainsi, tout comme le nationalisme étroit à l’occidental  a créé le concept de “solution finale”, c’est l’ethnocisme introduit en Afrique par les Occidentaux qui va intelligemment fabriquer le concept de “massacre de masse” des Africains par des Africains.

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L’Occident, à travers ses médias véhiculent l’idée selon laquelle les crises africaines sont surtout le fait de guerres fratricides et ethnique, nous poussant à une analyse biologisante et nous faisant écarter toute cause historique ou socio-économique. En effet, il serait absurde de penser que la crise africaine n’est pas liée à la manière dont les sociétés africaines ont ont été influencées  par les différentes phases d’expansion du capitalisme historique et néo-impérial. Ce sont en réalité les ressources minières et énergétiques dont regorge l’Afrique qui intéressent la bancocratie mondiale et les multinationales occidentales et les crises africaines ne sont que les parties visibles de l’iceberg. C’est toujours par ce mécanisme du diviser pour mieux régner que l’Occident continue à dominer l’Afrique par le néo-colonialisme qui n’est autre que le prolongement du colonialisme.

Les Etats africains précoloniaux étaient structurés selon des modèles de classes plus ou moins achevés. Ils se partageaient des espaces plus ou moins vastes à positionnement:

  • interne
  • Côtier
  • Forestier
  • Pré-forestier
  • Sur plateau
  • En savane

Leurs objectifs étaient, entre autre, le contrôle des grands axes du commerce international. A la périphéries de ces grands états vivaient les communautés villageoises indépendantes, qui, jalouses de leur autonomie étaient plus préoccupées par la paix que par des tensions intra-ethniques mais subissaient des pressions de la part des Etats centralisés environnants, pressions qui se manifestaient par de prédation ou de pillages organisées au profit des aristocraties locales. Il s’agissait là de conflits d’états, purement politiques, lignagers ou communautaires, éloignés des préoccupations ethniques et surtout lié aux produits de grands luxes qui concernaient le commerce transafricain.  Ils conduisaient rarement à des massacres de masse. Et lorsque guerre il y avait, elles répondaient à des codes et règlements stricts tels que le respect des jours de paix, des femmes, des enfants, des modalités de réconciliation ou de reprises des hostilités. Nous sommes là loin des conflits sauvages et barbares que les colons ont présenté de l’Afrique pré-coloniale dans le but de s’autoproclamer les “stabilisateurs et pacificateurs conquérants” des sociétés africaines.

Aussi, il est essentiel de se rappeler qu’un grand nombre de résistances au colonialisme s’est crée par des mobilisations et soulèvements pluriethniques, ce qui nous éloigne une fois encore de ce paysage sociale africain ethnicisé que nous a dépeint l’Occident.

Malheureusement, ce travail de recensement, de classement, de comparaison et de hiérarchisation va servir de vade-mecum chez l’Africain, qui pour finir va les voir se cristalliser en lui sous la forme d’une conscience réactionnaire. Cette situation va demeurer inchangée chez certains Africains même après les Indépendances, et pire, va se renouveler à mesure qu’ évolueront les exigences du capitalisme.

Et comme l’aura si bien observé l’historien Harana Paré:

“Dans sa phase actuelle, il n’échappe à aucune analyse lucide le constat banal suivant: le capitalisme reste aujourd’hui, porté par des multinationales tentaculaires et un impérialisme de recolonisation globale du monde, basée sur la privatisation des biens publics et le contrôle brutal des ressources stratégiques et énergétiques. D’une certaine manière, le plombage de la construction nationale, le sous-développement structurel, imposé par les logiques d’expansion du capitalisme en périphérie et les choix politiques de prédation mafieuse et d’intimidation des esprits lucides opérés par les éléments les plus brutaux des élites au pouvoir, finissent inéluctablement, par favoriser, en réaction, l’émergence de courants régionalistes, ethnicisants, et rétrogrades. Ceux-ci s’affirment concomitamment à l’échec politique des bandes organisées au sommet des États. Et c’est ainsi que le dépérissement de la nation entraîne l’affirmation des identités ethniques voire d’entités régionalistes rarement progressistes et servant de bases d’appui à des opérations malhonnêtes au profit du capitalisme généralisé. “

Natou Pedro Sakombi

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