Femme africaine et colonisation: entre soumission, résistance et émancipation

Certains pans de l’histoire de l’Afrique ont eu et continuent à avoir des répercussions désastreuses sur les populations et les sociétés africaines d’aujourd’hui. Voilà pourquoi seule une analyse objective  du passé permettra de confronter les plus sceptiques, ceux-là mêmes qui pensent qu’il faut « oublier » et « se réconcilier » avec le passé douloureux de l’Afrique… histoire d’y croire! 

Ainsi, le modèle sociétale occidental qu’il fallait impérativement instaurer dans les colonies prévoyait l’éradication rapide et efficace d’un système qui avait pourtant fait ses preuves durant des siècles en Afrique: le matriarcat. Et pour se défaire de ce système complètement à l’opposé du paternalisme à l’occidental, il fallait à tout prix « canaliser » et « museler » l’actrice principale de ce système politico-social bénéfique pour l’Afrique et dangereux pour ses pilleurs:  la femme africaine. Dès lors, pas étonnant qu’aujourd’hui encore, la représentation féminine dans les organes de décisions et postes à responsabilité en Afrique soit si moindre. Et la racine de ce mal se trouve sans équivoque dans cette propagande destructrice pensée et organisée par l’administration coloniale et qui en réalité avait déjà débuté depuis la traite et l’esclavage. Voyons de quelle manière cette mauvaise publicité de la femme africaine fut introduite dans certaines colonies, dans le but d’éradiquer le matriarcat et voyons de quelle façon, les premiers acteurs d’une Afrique indépendante tentèrent tant bien que mal de redonner à la femme africaine ses titres de noblesse. 

001

Avant la colonisation

Durant la grande époque de l’Afrique Impériale, que certains historiens situent entre 300 à 1500 après J-C, le rôle prépondérant de la femme africaine s’est révélé à travers le matriarcat, système politico-social instauré pratiquement dans toute l’Afrique . Et en effet, avant l’esclavage et la colonisation, la femme africaine était une actrice considérable dans les institutions politiques, sociales, économiques et religieuses, dans lesquelles elle occupait des postes à haute responsabilité (chef d’armée, guerrière, reine, impératrice, prêtresse, …), alors qu’en France, par exemple, Olympe de Gouges, femme de lettres et femme politique française, considérée comme l’une des pionnières du féminisme français, était guillotinée le 3 novembre 1793 pour avoir rédigé une déclaration des droits de la femme.

Voici ce que le grand Cheikh Anta Diop nous rappelle au sujet du matriarcat:

« Le matriarcat n’est pas le triomphe absolu et cynique de la femme sur l’homme ; c’est un dualisme harmonieux , une association acceptée par les deux sexes pour mieux bâtir une société sédentaire où chacun s’épanouit complètement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique. Un régime matriarcal, loin d’être imposé à l’homme par des circonstances indépendantes de sa volonté, est accepté et défendu par lui » (« L’Unité culturelle de L’Afrique Noire »,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982 page 114).

Bien évidemment, dans ce type sociétal africain, l’éducation des filles occupait une place primordiale, eu égard aux rôles de responsable de l’harmonie familiale et de pilier de la société  qu’elles se devaient de jouer. Et pour illustrer cette idée, M’zee Lombe Mwembo, auteur et docteur en sociologie, nous propose de comparer le rôle de la femme africaine à celui d’un “ministre de l’intérieur”, puisque les affaires familiales et sociétales, voire nationales, était de son ressort, alors que le garçon était éduqué pour devenir une sorte de “ministre des affaires étrangères”. Et en effet, le garçon se devait de protéger la famille, la société et la nation de l’extérieur. Il lui était concédé un rôle viril qui était notamment marqué par une initiation qui se soldait par une circoncision sans anesthésie qui déterminait son endurance et sa résistance.

Le cas des Baluba du Kongo constitue un exemple parfait de l’importance voué à l’éducation de la fille: chez les Baluba du Katanga, il existait une distinction entre les “bintu” (les choses inanimées), le “muntu” (l’humain) et les “banyeme” (les animaux). Toutefois, le muntu n’était considéré que lorsqu’il avait pu acquérir le “buntu”, à savoir les valeurs par l’éducation. Voilà pourquoi l’éducation revêtait une importance considérable. Il était d’ailleurs de la responsabilité de tout un village d’éduquer chaque enfant. L’initiation des filles se soldait par le “butanda”, un concept assez significatif du rôle de la femme, puisqu’il peut être traduit par “la préparation du lit”. Loin de toute connotation péjorative, car il faut y comprendre que le rôle de la femme était de résoudre les conflits familiaux dans le sens restreint, non pas aux yeux du public mais dans sa chambre à coucher, à l’abri des regards. Ce rôle pouvait sans équivoque s’étendre à la résolution des problèmes exogènes à la famille restreinte, et endogènes à la société, voire à la nation.

Si la participation de la femme dans les organes de décisions est aujourd’hui si pauvre, il faut savoir que dans les sociétés anciennes, la femme pouvait véritablement être considérée comme une ministre des affaires intérieures: elle s’occupait de la résolution des conflits familiaux internes, de la santé (soins des membres de la famille), de l’économie (gestion des ressources financières du ménage), de l’énergie (gestion de l’eau et du feu; cfr chez les Bakuba où la femme était détentrice du feu sacré dont elle avait reçu le secret divin).

Durant la colonisation

Les premiers colons qui tentèrent d’endoctriner les populations africaines séduisirent ces dernières par la modernisation. C’est l’exemple de la reine Muzinga a Nzeza du Kongo qui deviendra Ndona Leonor en 1491 suite à son baptême chrétien. Cette dernière fut en effet persuadée que la conversion et l’acculturation allaient mener son royaume vers la modernisation; le système de matrilinéarité prendra d’ailleurs fin lorsque son fils Alfonso lui succédera et poursuivra ce processus d’acculturation. Toutefois, à partir de 1704, des femmes kongos vont se lever pour unifier le royaume: Yaya Mafuta,  Kimpa Vita ou Nzinga Mbandi en sont les plus beaux exemples.

homo9Toutefois, il y a lieu de noter que la colonisation et l’acculturation de l’Afrique ne se sont pas opérées sans résistance, car dans cette lutte contre les envahisseurs étrangers, les femmes africaines jouèrent un rôle significatif. Ainsi, l’histoire nous rappelle ces grandes figures féminines et résistantes telles que:

  • Ndate Yalla Mboj:  reine wolof et première force de résistance lorsque les colons français entrèrent sur le territoire du Sénégal
  • Yaa Asantewa: reine-mère du Royaume d’Ashanti qui lutta contre les colons britanniques
  • Nzinga Mbandi Kia Ngola: reine du Royaume de Matamba qui défenda son territoire contre les Portugais
  • Les Minos du Dahomey (actuel Bénin), appelées de manière erronée “Amazones”, qui dirigeaient l’armée du Roi Behanzin et luttèrent contre les colons français
  • Nehanda Buya du Zimbabwe qui créa un soulèvement de la population pour lutter contre les envahisseurs anglais

… et bien d’autres, à découvrir sur le site de “Reines & Héroïnes d’Afrique” (https://reinesheroinesdafrique.wordpress.com/)

De la même manière, la religion de l’envahisseur n’a su s’imposer aussi facilement qu’il est coutume de penser puisqu’elle a rencontré des résistances sous plusieurs forme. Prenons le cas de l’entreprise française dans les colonies de l’Afrique du Nord, tel que nous le propose Frantz Fanon, dans son ouvrage “Sociologie d’une Révolution”. Fanon nous y explique que la femme voilée représentait une résistance visible à la colonisation et à la conversion culturelle, alors que la femme dévoilée représentait la colonisation réussie, la conversion culturelle et religieuse.


relL’administration coloniale occidentale viendra apporter un changement décisif dans l’organisation sociétale africaine et dans le rapport des genres. Ayant compris le rôle et l’impact de la femme dans les sociétés ancestrales africaines et afin d’étendre leur domination, les colons vont réduire à outrance  la participation active de cette dernière. Ainsi, une propagande destructrice va être minutieusement introduite en Afrique pour minimiser et canaliser le rôle de la femme africaine.
  

Un  exemple pertinent pour illustrer cette propagande contre la femme africaine, c’est celui du portrait de la femme congolaise dressé par le Révérend Père Vermeersch dans le Congo Belge. L’homme d’Eglise sera en effet le premier à la décrire et à la catégoriser, dans le seul but de dégager les moyens permettant de lui concéder une nouvelle place dans un paysage colonial nécessairement genré. Il distinguera donc trois types de femmes congolaises:

  • La femme polygame, considérée comme une esclave et faisant partie d’un troupeau dont le mari est le berger (la métaphore soigneusement choisie renvoie volontairement à une image de femme réduite au rang d’animal – le lecteur averti pensera certainement, et à juste titre, qu’ici, c’est l’hôpital se moque de la charité!)
  • La femme ménagère du Blanc, une esclave sexuelle, avec un accent placé non pas sur le comportement abusif du maître mais sur le côté bestialement aguicheur et intéressé de la femme congolaise (on parlerait naturellement de prostituée de nos jours! )
  • La femme chrétienne, libérée, produit réussi de la mission civilisatrice occidentale. C’est la femme vertueuse, celle qui mérite le respect (mais surtout celle à qui l’on fait croire qu’à force de soumission au programme d’éducation imaginée pour elle par l’administration coloniale, elle atteindra le même niveau que la femme blanche).

C’est de cette dernière que les colons font l’apologie, en créant une femme africaine chrétienne, monogame, attachée aux valeurs familiales et surtout bonne génitrice.

Cependant, dans cette démarche il y a lieu d’ouvrir grands les yeux sur l’autre face de l’iceberg. En effet, cette procréation encouragée par les colons à travers les valeurs chrétiennes est en réalité liée à un projet destiné à agrandir la main d’oeuvre nécessaire à la colonie. Parallèlement, l’éducation offerte aux hommes a quant à elle un seul but: former des auxiliaires administratifs.  Ainsi, quand bien même les titres d’ « évolués » promettent aux Congolais de devenir aussi « puissants » que les Blancs par exemple, ils ne sont  pas formés pour occuper des postes à responsabilité. L’éducation qu’offre le colon n’est pas imaginée pour développer une conscience nationale chez l’Africain, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, pendant longtemps, et ce fait perdure jusqu’à nos jours, la soi-disante élite d’intellectuels africains souffrira de cette inaptitude à tenir des postes à responsabilité, lacune qui se faisant ressentir dès les premières heures des indépendances africaines, lorsque les états souverains sont en pleine création. C’est de cette manière que l’éducation traditionnelle sera rejetée et considérée avec mépris et que les valeurs africaines seront réduites à une barbarie qu’il faudra tôt ou tard éradiquer.

Sans titre 1

Les femmes africaines seront minutieusement sélectionnées et se verront offrir des formations de puéricultrices ou d’aides-ménagères. Mais il y a des conditions pour accéder à ces formations: elles doivent être mariées monogamiquement, savoir lire et écrire et faire preuve d’une conduite morale irréprochable. Et c’est aux bonnes sœurs que l’on confie ces tâches de formatrices, même si ces dernières, en dépit de leur ‘charité’,  ne feront qu’agraver la situation des femmes africaines, puisqu’elles transposeront sur leurs jeunes élèves leur propre sentiment d’infériorité.

tumblr_n12s5hppiI1s8kic3o2_400

Certaines femmes africaines vont répondre à ce paysage colonial volontairement genré par la création spontanée d’une forme de vie associative féminine (sociétés secrètes, associations de danse, tontines, etc.). Et cette sororité nouvelle, finalement éloignée du concept de complémentarité homme/femme des anciennes sociétés africaines, sera également observée auprès des commerçantes africaines,  faisant désormais « bourse à part » de leur mari.

tumblr_n12s5hppiI1s8kic3o5_400En revanche, dans la plupart des cas, la femme africaine devient un instrument de production majeur, exploitée par les hommes de la famille selon le modèle encouragé mais surtout imposé par l’administration coloniale. Voilà comment la nouvelle croyante africaine, illettrée ou « instruite », à qui l’on fait croire que la conversion conduit à la vertue, à qui l’on a fait croire que sa culture et sa spiritualité africaines sont à bannir car « sauvages » et « barbares », est paradoxalement réduite à une véritable « bête de somme ». C’est clairement la fin du matriarcat,  la femme n’existe que par son lignage d’appartenance, qu’il s’agisse de sa propre famille ou de celle de son époux: elle est  la fille, la sœur, l’épouse ou la mère de l’homme dominant. C’est d’ailleurs pourquoi certaines femmes africaines des sociétés post-coloniales n’eurent pas le droit d’aller gagner leur vie au dehors, même en tant que domestiques, ce qu’elles étaient pourtant devenues chez elles!  Notez par ailleurs que c’est de cette situation que naîtra le surnom de « boys » donné aux gens de maison, employés par les colons et qui souvent étaient des des hommes.

A la veille et aux premières heures des Indépendances africaines

lum8A la veille et aux premières heures des Indépendances, un grand nombre de ces femmes africaines qui avaient bénéficié d’une instruction coloniale pour accéder à des postes d’infirmières, de sages-femmes, de puéricultrices ou, plus tardivement, d’ institutrices, (notez la vocation sociale liée à ces métiers) entrèrent dans le monde du travail salarié «moderne ». Et aux yeux des nouveaux chefs d’Etats africains, elles sont sans équivoque des moteurs socio-économiques majeurs et d’éventuelles homologues politiques. Toutefois, si lors de la Conférence des peuples africains d’Accra en 1958 , les pères du panafricanisme qui pensent à renouer sur certains points avec les anciens modèles sociétales pré-coloniaux, discuteront de la question de la femme. Mais malgré cela, c’est une présence féminine encore timide qui se dessine dans le paysage politique de l’Afrique nouvellement indépendante, un fait certainement lié à l’existence d’une dichotomie entre la femme émancipée et la femme au foyer. Il y a en effet lieu de savoir que dans ces nouvelles sociétés africaines « libres », pour certains intellectuels africains de sexe masculin, la femme instruite fait peur. Et pour cause, ils considèrent que leur absence des foyers pour des raisons professionnelles peut mettre en péril l’équilibre de la famille, et par extension, l’équilibre de la société. Ainsi, les nouveaux chefs d’état africains encourageaient volontiers l’émancipation de la femme, valorisaient la femme travailleuse, tout en continuant à accorder à la femme au foyer une valeur toute aussi capitale, voyant en elle une actrice non négligeable pour l’équilibre familial et sociétal. Il n’est donc pas étonnant que dans une société où la question de l’homme instruit et travailleur ne pose absolument aucun problème, puisqu’il ne nuit pas à l’équilibre familial, l’éducation des garçons soit privilégiée. Par conséquent, la représentation féminine dans les postes à responsabilité ou organes de décision ne peut que rester très faible. Et il n’est pas étonnant de constater que des femmes africaines se lèvent pour revendiquer certains droits ou certaines parités, alors qu’il fut un temps ou la complémentarité homme-femme était le socle des sociétés africaines.

Par Natou P. Sakombi pour RHA-MAGAZINE – (Directrice de la publication / Rédactrice en chef ): https://www.facebook.com/Natou-Pedro-Sakombi-1703163179968105/

 

Sources : 

  • La Poésie initiatique des jeunes filles. (Le butanda chez les Baluba). Mémoire de graduat en français-linguistique africaine. Kasongo Mashinda Micheline. Lubumbashi : Institut Supérieur Pédagogique (ISP), 1993, II-44 p.
  • Le Développement National Congolais est Impossible sans Eduquer les Femmes. M’zee Lombe Mwemo. kongoshalom.wordpress.com; décembre 2010
  • La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo belge 1891-1933). Flavien Nkayi Malu. Ed. Karthala. Collection « Mémoire d’Eglise »; novembre 2007

  • Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne). Frantz Fanon. Paris: François Maspero, Editeur, 1972
  • L’Unité culturelle de L’Afrique Noire,  Cheikh Anta Diop, Presence Africaine, 1982
  • Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique noire du XIXe au XXe siècle, Catherine COQUERYVIDROVITCH, Paris, Desjonquères, 1994 

Laisser un commentaire